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quelque chose à faire, qu’il faut faire. Il aime l’agrément dans la poésie, mais non pas la poésie d’agrément, et n’a que du mépris pour « les fredonneurs d’idylles ennuyeuses, d’églogues faites sur le même moule et de stances insipides. » Il ne cherche pas non plus dans la poésie une émotion de sensibilité : l’éternel soupirant des tragédies le fatigue et l’agace ; pas plus sur la scène que dans la vie, il n’aime l’amour. Il voudrait y substituer des sentimens plus calmes, qui sont presque de la raison, et, comme la tragédie de Mérope a démontré que l’amour maternel est aussi propre à émouvoir que l’amour, il veut essayer dans une tragédie dont Nisus et Euryale seront les héros, si l’amitié n’est pas capable, elle aussi, de réussir au théâtre. Au reste, le poète ne doit point, à son avis, se proposer uniquement d’émouvoir. Son office est d’instruire, et s’il a bien cadencé des pensées métaphysiques « dans une ode qui ne contienne que des vérités très évidentes ; » s’il a enseigné l’histoire, comme Voltaire dans son César ; surtout s’il a démontré, comme Voltaire encore dans Alzire, que le christianisme mal entendu et guidé par un faux zèle rend plus barbare que le paganisme même, il a bien employé son temps. Le meilleur des poèmes est celui qui renferme « un cours de morale où l’on apprend à parler et agir ; » et la Henriade est le chef-d’œuvre du genre ; car les caractères y sont présentés de manière à faire haïr le vice et aimer la vertu ; les récits sont accompagnés de réflexions « excellentes, qui ne peuvent que former l’esprit de la jeunesse. » Le poète y fait le procès aux guerres de religion ; il tance les factieux et recommande aux peuples l’obéissance et la fidélité envers leurs rois :


Et qui meurt pour son roi meurt toujours avec gloire…


Ce vers, Frédéric le cite seul, pour le mettre en belle lumière dans la préface de l’édition qu’il prépare de la Henriade, et il laisse un peu trop voir par cette citation et par toute la théorie qu’il donne au même endroit de la fonction des lettres, ces « auxiliaires des lois, » que, s’il aime les muses pour elles-mêmes, il attend d’elles quelques services. Ce jeune homme ne s’égare pas dans les vallons sacrés ; il s’y promène en compagnie du prince royal de Prusse.

Parce qu’il était homme de lettres dans l’âme, mais aussi parce qu’il était prince et voulait employer la puissance des lettres, Frédéric résolut de devenir un écrivain. Pour cela, il s’est donné beaucoup de peine. Il a fallu d’abord qu’il apprît notre langue. Il est vrai qu’il la parlait depuis qu’il parlait ; sa gouvernante, son précepteur et presque tous ses maîtres étaient nos compatriotes ; avec