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un rasoir, la vestale qui tire un vaisseau avec sa ceinture, et les boucliers tombés du ciel, etc. u Allons, monseigneur, il faut mettre tout cela dans la salle d’Odin avec notre sainte ampoule, la chemise de la Vierge, le sacré prépuce et les livres de nos moines ! » Mais Frédéric ne renonce pas si vite à ses illusions sur la primitive histoire romaine ; il est, dit-il, engagé à la défendre par un certain motif.

Sur quoi, le voilà qui raconte, en l’agrémentant de nouveaux détails, la fable que nous connaissons déjà de la fondation de Rheinsberg. Il y a quelques années, dit-il, on a trouvé au Vatican un manuscrit qui « fait foi » que Remus, pour se dérober à la jalouse fureur de son frère, s’est réfugié dans le pays de l’Elbe, qu’il y a bâti au bord d’un lac une ville à laquelle il a donné son nom, et s’est fait ensevelir dans une île au milieu du lac. Le pape s’est empressé d’envoyer deux moines pour découvrir la retraite de Remus. Les bons pères ont jugé que ce ne pouvait être que Remusberg, bien qu’ils n’aient pu retrouver les cendres du héros, soit parce que ces restes n’ont pas été soigneusement conservés, soit parce que le temps, qui détruit tout, les a confondus avec la terre. Ce qu’il y a de plus piquant dans la longue lettre très étudiée de Frédéric, c’est la précaution qu’il prend de ne point paraître trop naïf. « On ne m’accuse pas trop de crédulité, dit-il, et, si je pèche, ce n’est point par superstition. » Il énumère donc ses preuves, dont les principales sont la découverte récente faite dans son jardin d’une urne et de monnaies romaines et le souvenir gardé dans le pays de deux pierres sur lesquelles on reconnaissait encore, il y a cent ans, « quelque chose, » qui avait été la représentation de l’histoire des vautours. « J’espère, monsieur, dit-il en terminant, que vous me saurez gré de l’anecdote que je viens de vous apprendre, et que, en sa faveur, vous excuserez l’intérêt que je prends à tout ce qui peut regarder l’histoire d’un des fondateurs de Rome, dont je crois conserver la cendre. »

Il est aisé de se figurer les mines qu’échangèrent à Cirey Voltaire et la divine Emilie, en lisant ce mémoire d’un archéologue de province. Voltaire répond que Remus ne mérite pas l’honneur d’avoir ouvert l’asile de Frédéric, et que, si cet aimable lieu a été fondé par des exilés de Rome, c’est par Scipion qui y a porté le courage, par Cicéron qui y a conduit l’éloquence, et par Ovide qui y a fait briller l’art d’aimer et de plaire. Quant aux antiquaires à capuchons soi-disant envoyés par le pape, il leur conseille de faire de ce Remus un saint, plutôt que le fondateur du palais de Frédéric : « Mais apparemment que Remus aurait été aussi étonné de se voir en paradis qu’en Prusse. » Et Voltaire se met à