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hautes de l’esprit, il se sentait tout humble : « De pareilles lectures instruisent et humilient. Je ne me sens jamais plus petit qu’après avoir lu la proposition de l’être simple. » C’était celle qu’il préférait en effet, parce qu’il en espérait l’immortalité de son âme : « Je commence à voir l’aurore d’un jour qui ne brille pas encore tout à fait à mes yeux ; je vois qu’il est dans la possibilité des êtres que j’aie une âme. »

A-t-il jamais été aussi confiant qu’il paraissait l’être en l’efficacité de la doctrine de Wolf à lui révéler le mot des mystères ? Des réserves, comme celle qu’il vient de marquer à propos de l’immortalité de l’âme, et l’aveu qu’il répète, au cours de cette période métaphysique, de notre impuissance à nous élever jusqu’aux premiers principes montrent la persistance d’un doute préalable. Né sceptique et critique, il avait la volonté, mais il semble bien qu’il n’a jamais eu la pleine espérance de trouver l’explication des choses. Il a fait tout son grand effort pour l’acquit de sa conscience ; il y a mis de la bonne volonté et de la bonne foi, car il était sincère envers lui-même. Bref, il a voulu savoir si l’on peut savoir. Après quoi, ayant réuni tous ces élémens d’une croyance philosophique, il les a discutés avec ses amis, et, pour en éprouver la valeur, il les a fait passer par le creuset de Voltaire.

Dès la première lettre qu’il adresse à Voltaire, il lui parle de Wolf, qu’il appelle le plus célèbre philosophe de nos jours, sans craindre que Voltaire n’ait jamais entendu parler d’un si grand homme, ou ne s’étonne de n’être pas lui-même ce plus célèbre philosophe. Un curieux dialogue s’engage alors entre Rheinsberg et Cirey. Voltaire ne se presse point de prendre parti : il ne veut pas si vite contredire ni désenchanter ce fils de roi dont l’amitié est douce à son amour-propre. Il commence par dire qu’il regarde les idées de M. Wolf comme des choses qui honorent l’esprit humain, et qu’un homme qui raisonne si bien ne pourra jamais rien faire de mauvais, mais déjà il exprime ses sentimens sur la métaphysique, qui ne sait que faire briller des éclairs, et sur notre misère à nous, pauvres souris, qui habitons un bâtiment immense, et tâchons de conserver notre vie, de peupler nos trous, et de fuir les animaux destructeurs, mais qui ne savons ni quel est l’architecte, ni pourquoi l’architecte a bâti. Cependant les cahiers de la traduction de la Métaphysique arrivaient l’un après l’autre à Cirey. Les questions de Frédéric deviennent pressantes et précises. C’est la proposition de l’être simple qu’il recommande surtout à Voltaire, avec les définitions, qui la font comprendre, de l’espace, de la limite, de l’étendue et de la figure. Pendant plusieurs mois, Voltaire fait attendre « les