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versité, le roi Charles VII fit juger le procès au parlement et menaça de poursuites les auteurs de la cessation des leçons et sermons. Le cardinal Guillaume d’Estouteville fut délégué par le pape Nicolas V, afin de rédiger un acte de réformation (1er juin 1452). Mais les écoliers n’acceptèrent pas les nouveaux règlemens. Ils s’étaient habitués à la licence. Le procureur du roi, Popaincourt, plaidant au parlement en juin 1453, dit « que depuis quatre ans ençà est venu à notice qu’aucuns de l’Université faisoient plusieurs excès dont on murmuroit à Paris, comme d’avoir arrachié bornes et estre venuz à l’Ostel du Roy[1], à port d’armes et comment depuis naguère ils s’étoient transportés à la Porte Baudet avec des échelles et y avoient arrachié enseignes d’hôtel attachiées à crampons de fer et s’estoient vantez avoir d’autres enseignes. »

Parmi les bornes qu’ils arrachèrent ainsi, se trouvait une pierre très remarquable, située devant l’hôtel de Mlle de Bruyères, dans la rue du Martelet-Saint-Jean, en face de Saint-Jean en Grève[2]. On trouve cet hôtel mentionné dès 1322, sous le nom d’Hôtel du Pet-au-Diable. La borne qui était plantée devant sa façade était une des curiosités de Paris. Sans doute elle était sculptée et couverte d’ornemens. Elle fut volée en 1451 et le parlement commit au mois de novembre de la même année Jean Bezon, lieutenant criminel, pour s’informer de son transport, avec ordre de se saisir de tous ceux qui seraient trouvés coupables. Jean Bezon la fit reprendre, et, en attendant le procès, apporter à l’Hôtel du Roi ou Palais de Justice. Mais elle disparut de nouveau et on ne la retrouva que le 9 mai 1453. D’ailleurs, Mlle de Bruyères, qui était une vieille personne quinteuse, aimant à plaider, fîère de son hôtel et de la tour qui en faisait une sorte de construction féodale, et refusant à cause de cela depuis de longues années de payer le cens à la Commanderie du Temple, se lassa d’attendre et fit remplacer sa borne. À peine la nouvelle pierre fut-elle plantée devant l’hôtel de la rue du Martelet-Saint-Jean, qu’elle fut enlevée comme la première.

On n’ignorait pas que les coupables étaient les écoliers de l’Université. Ils avaient apporté les pierres, l’une sur la montagne Sainte-Geneviève, l’autre sur le mont Saint-Hilaire, un peu plus bas, à l’emplacement du Collège de France. Là, avec des cérémonies burlesques, ils avaient marié les deux bornes et consacré leurs privilèges. Tous les passans, et surtout les officiers du roi, étaient tenus de tirer leur chaperon aux pierres et de respec-

  1. Palais royal ou de justice.
  2. À l’emplacement de la caserne Lobau.