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cette ballade fut composée après la rixe de juin 1455, où Villon n’avait pas de complices. Les compagnons dont il parle ne sont que des voisins de potence. L’effort littéraire est plus grand, et la vue de l’imagination plus forte. Villon se plaint au gibet avec les camarades que le hasard a accrochés près de lui, pour des crimes bien différens. Et cependant il se sent lié à eux par une sorte de solidarité. Il semble qu’il n’ait commis qu’un acte de violence, et déjà il a éprouvé la fraternité du crime.

Vers la fin du mois de juin 1455, Villon quitta donc Paris, banni par la justice. Il y laissait le bon gîte de Saint-Benoît, les relations de maître Guillaume de Villon, Ambroise de Loré et les causeries à l’hôtel de la rue de Jouy. Il entrait dans une vie de vagabond, presque sans argent, ne sachant d’autre métier que celui de clerc. Rien ne devait lui servir parmi tout ce qui avait fait jusque-là l’existence qu’il pouvait reconnaître. Mais il avait d’autres amis ; et si Gasin Cholet et Jehan le Loup n’avaient que la courte expérience de l’enceinte immédiate de Paris, Régnier de Montigny et Colin de Gayeux pouvaient indiquer à François Villon des moyens de vivre et des relations rapides sur toutes les grand’-routes du royaume.


II.



Les gens du moyen âge ont beaucoup vagabondé. Un grand nombre de clercs allaient de ville en ville ; ce leur était une manière de vivre après qu’ils en eurent fait un prétexte à s’instruire. Certains écoliers traversaient les frontières, passaient en Espagne, en Italie, en Flandre, en Allemagne. Ils discutaient solennellement avec les docteurs étrangers et les défiaient à des joutes de connaissances. Ainsi ce singulier étudiant espagnol, Fernand de Cordoue, qui vint à Paris vers le milieu du XVe siècle, étonna les docteurs de Sorbonne par son érudition dans les langues anciennes, l’hébreu, les langues vivantes et sa subtilité dans les sciences, puis disparut et passa en Allemagne. On crut qu’il avait fait un pacte avec le démon et qu’il usait de magie. Mais la plupart du temps les clercs vagabonds et mendians étaient moins instruits. Dès le XIe siècle, ils se mirent à fréquenter les grand’-routes de France et d’Allemagne. Ceux qui allaient d’abbaye en abbaye transportaient des rouleaux de parchemins où les moines inscrivaient le nom du dernier mort de leur confrérie, avec des pensées pieuses. Les clercs vagabonds qui avaient reçu l’hospita-