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fond du détroit. Mais les moyens dont il disposait n’étaient pas suf- fisans pour assurer refficacité de ses recherches. L’intrépidité qu’il déploya en allant recueillir lui-même des échantillons par des pro- fondeurs de 50 mètres ne put suppléer à ce que le procédé avait de précaire et d’incomplet. Cependant, il aboutit à la rédaction d’un projet dont il poursuivit depuis lors la réalisation. En 1855, il le présenta à l’empereur Napoléon III, auquel l’unissait une étroite amitié d’enfance.

Soumis à une commission composée d’hommes illustres par leur science et leurs grandes œuvres, ce projet subit l’épreuve d’un examen approfondi. On reconnut alors la nécessité de pénétrer plus avant les difficiles problèmes qu’il soulevait et qu’avec la complaisance naturelle aux inventeurs pour leurs conceptions, Thomé de Gamond avait trop promptement considérés comme résolus. On ne réussit pas tout de suite à trouver les ressources nécessaires à ces nouvelles études ; la guerre survint, enlevant à Thomé, avec son principal protecteur, ce qui lui restait encore de chances.

Ce qui rendait le tunnel, tel que le concevait Thomé de Gamond, d’une réalisation problématique, ou tout au moins fort difficile, provenait de la connaissance incomplète, malgré tout, qu’il avait des conditions géologiques du détroit. Les études entreprises depuis, tant en Angleterre qu’en France, par des ingénieurs et des savans de premier ordre, ont permis de reprendre le problème et de lui assigner une solution à la fois économique et rationnelle.

Il est aujourd’hui de science courante qu’à une époque reculée, antérieure à celles dont l’histoire garde le souvenir, la Grande-Bretagne faisait partie du continent européen et qu’un isthme étroit, réunissant le Boulonnais au comté de Kent et au Sussex, remplissait cette portion rétrécie de la Manche qui s’appelle le Pas-de-Calais.

La Grande-Bretagne était alors un des promontoires de l’Europe, comme notre vieille Armorique, comme la péninsule Scandinave, avec laquelle elle a tant d’analogies de formes. Elle séparait l’Atlantique de la mer du Nord, comme le Danemark la mer du Nord de la Baltique. S’il y avait eu à cette époque lointaine quelque mortel assez hardi pour s’aventurer sur les flots, sa frêle pirogue, pour atteindre les rives à peine émergées de la Hollande, aurait dû, s’égarant dans les brumes hyperboréennes, chercher sa route aventureuse à travers les étroits défilés des Orcades, détachées déjà de la presqu’île par une commotion de date plus ancienne.

Qu’il ait, d’ailleurs, fallu cet isthme pour rendre possibles les migrations de ces nombreux quadrupèdes qui ont laissé leurs ossemens dans les graviers de l’île future ; qu’ensuite, le même chemin