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députés. On disait : « Bientôt on sera forcé d’aller à confesse. » Et de fait, dans certaines communes, les indigens eurent à produire des billets de confession pour obtenir des secours. On accusait Louis XVIII de se laisser mener par le clergé. Une caricature représentait le vieux roi ventru et impotent, dans un fauteuil à roulettes sur le dossier duquel un prêtre avait les deux mains ; la légende portait : « Va comme je te pousse. »

Les cérémonies funèbres à la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette, célébrées dans les cathédrales du royaume, prirent malheureusement un caractère politique par la faute du clergé. Les prédicateurs condamnèrent en masse, avec les régicides, tous les citoyens qui depuis 1789 avaient pris part à la révolution ; ils n’oublièrent pas dans leurs anathèmes les acquéreurs des biens d’église. Les paroles qui avaient retenti dans la chaire furent reproduites et commentées par la presse. Les journaux royalistes n’en étaient pas encore à demander ouvertement qu’on proscrivît les votans et que l’on lit rendre gorge aux acquéreurs, mais ils ne cachaient pas leur mépris pour eux. « Ces gens-là, disaient-ils, ne sauraient se plaindre, puisqu’ils ont conservé tout, fors l’honneur. » Comme la censure préalable venait d’être rétablie, on pensa que puisque le gouvernement laissait paraître ces articles, c’est qu’il en approuvait l’esprit. Après les services funèbres à la mémoire de la famille royale, d’autres cérémonies furent solennellement célébrées pour Moreau, pour Pichegru, pour Cadoudal. Tous ceux qui avaient conspiré ou combattu contre la république étaient glorifiés. Le roi paya les frais du service de George, à l’église Saint-Paul. Les journaux ne manquèrent pas de le faire savoir ; les royalistes vantèrent à la fois la générosité de Louis XVIII et sa haute justice. Le public ne fut qu’à demi édifié, car, aux yeux de beaucoup de Français, « George n’était qu’un assassin et un dévaliseur de voitures publiques. »


III

C’était faire des mécontens pour rien, pour le plaisir. Or, des mécontens, on était contraint d’en faire déjà trop par les inflexibles exigences de la situation. Un des plus grands embarras pour le gouvernement de Louis XVIII, le principal peut-être, car de celui-là dérivaient la plupart des autres, était la question d’argent. Les grands armemens et les désastres des années 1812 à 1814 laissaient un arriéré non de seize cents millions, comme l’abbé de Montesquiou osa le dire le 12 juillet à la chambre des députés, mais de cinq à six cents millions. Le baron Louis proposa de combler le déficit au