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moyen de bons temporaires, remboursables en trois ans, portant intérêt à 8 pour 100 et garantis par l’aliénation de 300,000 hectares de forêts et par la vente des biens communaux. Les royalistes purs auraient voulu ne payer qu’à moitié ou même ne pas payer du tout les créanciers des gouvernemens usurpateurs. Certains libéraux accusèrent le ministre des finances de faire de l’agiotage. Les uns et les autres combattirent à la tribune le projet du baron Louis. La chambre ne l’en vota pas moins, et, de l’ouverture à la clôture de la discussion, la rente monta de 65 à 78 francs. Mais pour limiter les dépenses des six derniers mois de 1814 à la somme que le ministre des finances avait comprise dans l’arriéré de l’empire, il fallait faire de grosses économies. On réduisit le budget des différens ministères. Plusieurs milliers d’employés furent remerciés ; ils allèrent grossir la masse des mécontens que formait tout le personnel administratif et judiciaire qui avait dû quitter les départemens cédés par le traité du 30 mai.

Les principales réductions portèrent naturellement sur les services de la marine[1] et de la guerre. « Nous avons plus de soldats qu’il ne nous en faut, disait Louis, puisque nous manquons d’argent pour les payer. » Or, au mois d’avril, quand le ministre des finances tenait ce propos, l’armée, par suite des désertions en masse, comptait à peine 90,000 présens sous les armes, et les désertions ne s’arrêtaient point. On pouvait craindre que l’espérance des alliés d’un licenciement de l’armée française ne se trouvât bientôt réalisée. Heureusement les nombreux prisonniers des forteresses d’Allemagne et des pontons d’Angleterre, et les garnisons de Hambourg, de Magdebourg, d’Anvers, de Mayence, qui étaient en route, allaient combler les vides. On aurait encore trop de soldats, vu les nécessités budgétaires. Le 12 mai, le roi rendit une ordonnance sur la réorganisation ou plutôt sur la réforme de l’armée. L’infanterie fut réduite de 206 régimens à 107[2] ; la

  1. La marine fut pour ainsi dire abandonnée. Après avoir cédé aux alliés, sans discussion, par le traité du 30 mai, 31 vaisseaux de ligne et nombre de frégates et autres bâtimens, on mit en vente une partie de ceux dont le traité stipulait le retour à la France. Des bâtimens qui étaient dans nos ports, la plupart furent désarmés. Les deux tiers des équipages furent envoyés en congé, et l’on consomma tout l’approvisionnement sans rien remplacer. Au 20 mars 1815, il n’y avait à flot qu’un seul vaisseau, 11 frégates et 76 corvettes, flûtes, gabares et transports. « Avec un tel budget, écrivait Decrès, la marine se serait affaiblie chaque année de la valeur de sept vaisseaux de 74. » (Lettre à l’empereur, 26 mars 1815. Arch. nationales, AF. IV, 1941.)
  2. Mars 1814 : 130 régimens d’infanterie de bataille. Nominalement, il y avait sous l’empire 156 régimens d’infanterie, mais 26 n’avaient pas été formés en l’an XII ou avaient été détruits complètement depuis et non reformés. — 32 régimens d’infanterie légère. Nominalement, il y avait 37 régimens, mais pour les causes énoncées ci-dessus, 5 n’existaient que sur le papier. — 4 régimens de vieille garde, — 40 régimens de moyenne et de jeune garde.
    Septembre 1814 : 90 régimens de ligne, — 15 régimens d’infanterie légère, — 2 régimens de l’ex-vieille garde sous le nom de corps royaux de grenadiers de France et de chasseurs de France. (Les hommes de la moyenne et de la jeune garde maintenus au service furent incorporés dans la ligne et l’infanterie légère.)