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arrive sur le « Champ de Bataille. » S’il faut en croire le Mémoire dressé par la municipalité, chacun des cent hommes qui le composaient aurait reçu, avant de quitter la caserne, six cartouches à balle. Aucun document dans les Archives de Toulon ne prouve l’exactitude ou la fausseté de cette affirmation. Mais, à supposer même qu’il ait été réellement procédé à une distribution de cartouches, qui pourrait s’étonner qu’une troupe destinée à la sauvegarde de l’ordre public menacé ait été pourvue de munitions ? Et ne faut-il pas la mauvaise loi dont les auteurs du Mémoire ont donné plus d’une preuve pour conclure de ce fait, formellement nié d’ailleurs par M. de Rions[1], à l’intention préconçue, chez le commandant de la marine, de faire tirer sur le peuple[2] ?

Depuis le moment où le détachement de canonniers-matelots arrive sur la place, les dépositions recueillies et invoquées par les deux parties deviennent absolument contradictoires sur un fait essentiel qui est de savoir si l’ordre de tirer a été donné. Le « Champ de Bataille » était couvert d’une foule tumultueuse et menaçante, qui enveloppait de toutes parts le faible détachement rangé autour de l’hôtel. La municipalité accuse les chefs de ce détachement, particulièrement M. de Broves et M. de Bonneval, d’avoir jeté à la troupe l’ordre de faire feu[3]. D’autre part, le principal incriminé, M. de Bonneval, major-général de la marine, affirme, « sous serment et sur son honneur qui est son guide depuis trente-cinq ans qu’il sert l’État et le roi, » qu’il n’a pas donné l’ordre en question, mais seulement celui de : Reposez-vous sur vos armes. Sa déclaration est, sur ce point, absolument catégorique : « M. Quévilly, sous-lieutenant, médit : — Est-ce reposés-vous sur vos armes ou chargés vos armes ? — Je lui répondis à haute voix : non. Reposés-vous sur vos armes ! Cet ordre fut exécuté. Il fut donné devant M. de la Devèze, lieutenant de vaisseau, qui était auprès de moi[4]. »

  1. Recueil de pièces concernant M. d’Albert de Rions, p. 22.
  2. Mémoire de la ville de Toulon, p. 39, note a. « Le projet était donc fait de tirer sur le peuple. »
  3. « L’ordre est donné : chargez vos armes, portez vos armes, feu ! Cet ordre terrible, cet ordre sanguinaire… sortit principalement de la bouche de M. de Bonneval et de celle de M. de Broves… » (Mémoire de la ville, p. 43.) « Un détachement de deux cents hommes arrive sur la place d’armes et devant l’hôtel du commandant. On leur distribue des cartouches, on leur ordonne de charger les armes, de faire feu : vingt-cinq témoins l’attestent… » (Précis sur l’affaire de Toulon, p. 13.) « Une foule de témoins attestent que M. de Broves et M. de Bonneval ont fait très distinctement les commandemens de : Portez armes, chargez armes, feu ! Le plus grand nombre ajoute même que l’ordre de faire feu fut réitéré… » (Fragment d’un Mémoire relatif à l’affaire de Toulon, p. 6.)
  4. Archives municipales de Toulon. Déclaration de M. de Bonneval sur son arrestation.