Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Boussingault était né à Paris, au commencement du siècle. Après avoir passé[1] par l’école des mines de Saint-Etienne, il partit pour l’Amérique avec un médecin, M. le docteur Roulin, qui, plus tard, dirigea longtemps la bibliothèque de l’Institut, et a laissé, parmi ceux qui l’ont connu, la réputation d’un des plus charmans causeurs qu’on pût rencontrer.

Ces messieurs, partis avec l’espoir de fonder un établissement d’enseignement supérieur à Santa-Fé-de-Bogota, trouvèrent le pays en pleine révolution. Il leur fallut brusquement changer leurs projets ! Boussingault entra dans l’état-major de Bolivar, pour lequel il conserva toujours un profond respect ; il ne l’appelait jamais que le libérateur. Tout en servant l’insurrection comme militaire et comme ingénieur, il recueillit une ample moisson d’observations, envoya à l’Académie des Sciences de Paris des communications qui lui acquirent bientôt une grande notoriété, de telle sorte que, lorsqu’il rentra en Europe, on le casa dans l’enseignement, d’abord à Lyon, puis à Paris, au Conservatoire des arts et métiers, où il a laissé un souvenir impérissable.

Boussingault a créé la science agricole. Bien que Th. de Saussure, au commencement du siècle, eût énoncé nombre de faits du plus haut intérêt, il ne les avait pas réunis en un corps de doctrine. Cette gloire fut réservée à Boussingault ; c’est de la publication de son Économie rurale, en 1837, que date la chimie agricole.

Parmi les questions qui l’occupèrent davantage se trouve celle que nous discutons en ce moment ; l’intervention de l’azote atmosphérique dans les phénomènes de la végétation. Le principe de la méthode employée est facile à saisir : un lot de graines est analysé, on sème dans du sable calciné, privé par conséquent de toute matière organique azotée, une graine semblable à celle dont la teneur en azote a été déterminée par un dosage rigoureux ; on ajoute à ce sable stérile les matières minérales indispensables au développement de la plante, on arrose avec de l’eau exempte d’ammoniaque ; pour se mettre enfin à l’abri de l’ammoniaque atmosphérique, on recouvre les pots d’expériences d’une grande cloche de verre immergée dans de l’eau aiguisée d’acide sulfurique, de façon à isoler absolument l’atmosphère intérieure, dans laquelle on entretient une quantité d’acide carbonique suffisante pour assurer l’alimentation aérienne de la plante.

À force de soins, en préservant la plante chétive, qui se

  1. Il a laissé des mémoires extrêmement intéressans, qui sont en voie de publication ; sa famille a fait paraître l’an dernier le premier volume, dans lequel l’auteur retrace les souvenirs de sa jeunesse.