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marquée pour les étoffes aux teintes vives, une pièce ou deux du vêtement ancien, un accessoire, un bijou. Et, dans la campagne de Milan, c’est le grand peigne irradié que les femmes posent derrière leur tête, sur leurs cheveux roulés : un système d’épingles d’argent, aplaties au sommet, faisant le demi-cercle, ou, si vous le prêterez, deux douzaines de petites cuillères disposées en éventail.

En sortant du campo santo, j’allai passer une heure chez un de ces sculpteurs dont plusieurs, Enrico Butti, Ernesto Bazzaro, Barcaglia, Barsaghi, qui vient de mourir, ont acquis une réputation considérable. Il me montra une foule d’œuvres ou de maquettes, la plupart destinées à des tombes, et dénotant une souplesse de main très grande, une entente consommée de la vérité plastique. Cependant quelque chose y manquait, presque toujours. En parcourant les ateliers avec cet homme aimable et fin, plus près de l’artiste, assurément, que de l’ouvrier, je revoyais sans cesse l’immortelle jeune fille, debout près de la tombe d’Henri Regnault. Et plus tard, je me suis demandé si le génie italien, momentanément affaibli, mais qui reprendra vigueur, n’avait pas été de tout temps plus réaliste que le nôtre. Même aux siècles où le plus merveilleux idéal soulevait les âmes, les artistes italiens se sont-ils beaucoup écartés du portrait anobli, je veux bien, divin par le sourire ou par les attributs, mais portrait cependant ? Comme les Romains, leurs pères très pratiques, ne se sont-ils pas montrés défians de ces deux genres, où l’imagination n’a plus de guide qu’elle-même, l’allégorie et la légende ? Ont-ils jamais habité entre ciel et terre, dans le pays d’enchantement où les races du nord se sont promenées, inquiètes et ravies, durant tout le moyen âge ? Raphaël a-t-il tant rêvé ? Le grand Buonarotti, qui savait ce que c’était, aurait peut-être dit non.


— Je viens de voir le roi et la reine, de très près, et pendant plusieurs heures. Les souverains devaient présider, devant quelques centaines d’invités, la fête d’inauguration d’un institut des aveugles, nouvellement élevé dans la via Vivaio. Les bâtimens, entièrement neufs, construits grâce aux libéralités testamentaires d’un Milanais, ouvrent sur une rue étroite, dans un quartier populaire. Ils sont très vastes, très gais de couleur, inutilement, hélas ! et de cette belle ordonnance comprenant, de toute nécessité, des portiques, des corniches, des cloîtres intérieurs, de larges escaliers, à laquelle les Italiens sacrifient souvent le confortable. Ce n’est pas le cas. Les aveugles seront bien chez eux. On entre dans une cour fermée d’une grille, puis, par un vestibule orné de colonnes, dans une longue