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les propriétaires en frais de maçonnerie. Les uns poussant les autres, la lutte est devenue épique, et, comme chacun de ces vastes palais devait avoir un nombre égal d’étages, on l’a vue tout de suite se circonscrire et devenir un concours de façades. Tous les genres de portes et de fenêtres, toutes les variétés de balcons, tous les types de cariatides, de modillons et de consoles, tous les enduits, les revètemens, les moulures, les médaillons, les chapiteaux et les chapeaux de cheminée s’y rencontrent, et voisinent drôlement. Il y a des façades peintes en grisaille renaissance. Il y en a une couverte de peinture, — à l’huile, je crois bien, — incontestablement moderne : sur un sofa, d’où s’élance un palmier aux feuilles retombantes, un monsieur en habit rouge, face à la rue, parait attendre la réponse d’une jeune femme, en robe de bal blanche, qui regarde vers le château des Sforza. Que voulez-vous, tous les détails ne sont pas heureux, on devait s’y attendre, mais l’ensemble de ces palais, formant une des plus larges rues de Milan, ne manque pas de grandeur. Les tons légers des badigeons et des stucs s’harmonisent et se fondent. Par un rayon de soleil, toutes ces choses fraîches et neuves ont l’air de rire entre elles. Ajoutez à cela que les loyers ne sont pas élevés. Je me suis informé, et l’on m’a dit qu’un premier, composé de dix à douze pièces, se louait de 2 à 3,000 francs.

Malgré cela, les locataires ne se disputent pas encore les appartenions de la belle rue Dante. Je vois d’assez nombreux écriteaux pendus aux balcons ouvragés : Si loca ; affittasi piano nobile. Ils disparaîtront avec le temps. Mais je crois qu’un second concours, s’il était proposé, ne serait plus accueilli avec le même enthousiasme.

J’oubliais de dire que la municipalité, devant ce débordement d’architecture, embarrassée sans doute, n’a pu se déterminer à décerner le prix : ce qui est au moins d’une administration économe.


— Je me trouve ici en pleine période électorale. Les murs sont couverts d’affiches où des comités « pour la paix, » d’autres qui sont pour la guerre, et qui ne le disent pas, des groupes de vétérans reduci des guerres de l’indépendance, des sociétés ouvrières ou rurales, recommandent leurs candidats à l’électeur qui passe. Les afficheurs ne respectent rien, ni les maisons particulières, ni les monumens publics. Ils collent partout : sur les colonnes neuves, à l’intérieur des passages, dans les péristyles des mairies, sur des parois lisses ou sculptées, peu leur importe : « Ça s’enlève si bien avec une brosse et de l’eau chaude ! » me disait un Italien. Et en effet, j’ai vu fonctionner la brosse jusque dans les belles galeries