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confraternité des armes ! » dit-il. Et un bon sourire tempère et adoucit la réserve obligée des mots. Nous entrons dans la salle d’escrime, un peu petite, mais peinte par des soldats qui ont du goût et de l’invention. Ils ont représenté sur les murs une foule de motifs militaires originaux, bien enlevés, en ouvriers teintés d’artistes qu’ils sont. Le colonel nous dit n’avoir jamais besoin de recourir à la main-d’œuvre civile pour les aménagemens intérieurs de la caserne. Les cuisines paraissent bien tenues. Dans le réfectoire des sous-officiers, attenant à leur salle de réunion, quatre tables, dont une pour l’état-major. L’ordinaire n’est pas le même qu’en France : les sous-officiers ont, le matin, la soupe, un plat de viande et du fromage ; le soir, la soupe, deux plats et un dessert, du vin en outre à chaque repas, et paient 1 fr. 05 par jour. Les hommes, qui reçoivent 250 grammes de viande le matin, ne mangent le soir que des pâtes, avec la soupe. Ils semblent d’ailleurs bien portans. Mais combien leur physionomie diffère de celle du troupier français ! Je les regardais, dans les cours, dans les corridors, dans les appartemens que nous traversions. Tandis que les officiers causaient, corrects, irréprochables de tenue, eux n’avaient pas même l’air de s’apercevoir d’une visite, évidemment peu commune. Pas de ces mines gouailleuses qu’auraient eues nos fantassins en croisant l’étranger, pas de ces rires derrière les portes, pas d’appels à haute voix, pas de ces plaisanteries lancées comme par hasard, d’une fenêtre à l’autre, et que le respect dû aux grands chefs n’arrête guère. On devinait des hommes doux, dociles, portés à la mélancolie. La plupart semblaient de tout jeunes gens, ayant peu de barbe. Au passage du colonel, ils se rangeaient et saluaient, tranquillement, posément, et, lui disparu, n’éprouvaient pas ce besoin de mouvement et de paroles, que provoque, chez les Français, une contrainte de cinq minutes. Les officiers les traitent doucement. « Quelle belle mission ! nous dit le colonel, en montant l’escalier qui conduit aux chambres, celle de mon grade surtout : avoir la charge d’un régiment, s’occuper du corps et de l’esprit de ses hommes ! Je ne sais rien de plus intéressant, ni de plus grand. » Il disait cela en homme convaincu, et simplement. À l’entrée de la chambre de la 6e compagnie, un vieux capitaine, entendant monter les visiteurs, s’avance, la main au képi. Il est de ceux, — nous en connaissons tous de pareils, — qui ont mis toute leur vie, toutes leurs pensées dans le métier, passionnés, méticuleux et presque toujours excellens avec des allures terribles. Le colonel lui serre la main. « Voyez-vous, messieurs, j’ai de si bons capitaines, que je leur laisse la plus entière liberté pour a l’arrimage » des effets. Ce que vous verrez ici est du goût de celui-ci. » Et le vieux salue de nouveau, très touché. Décidément, voilà un colonel