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dépendance de la science avec l’orthodoxie de la religion révélée, en soutenant que les deux sphères de la foi et de la science n’ont rien de commun et ne peuvent ainsi se gêner ni se détruire l’une l’autre. Mais M. Brandes, qui était dès ses débuts le radical qu’il est resté, ne pouvait se contenter de ce qui était déjà en somme une concession à l’esprit moderne, et ses anathèmes contre Nielsen et contre les argumens sans doute un peu confus par lesquels celui-ci soutenait sa cause, s’ils ne purent rien décider, est-il besoin de le dire ? eurent du moins l’avantage, pour le jeune ennemi de la religion, de lui gagner du coup dans son pays la célébrité.

Dès ces premières polémiques, on pouvait apercevoir très nettement un des traits particuliers qu’il nous faudra signaler partout dans l’œuvre de M. Brandes. L’acharnement avec lequel il combat toute religion n’est pas le fait d’un savant, et sans doute M. Brandes le sent-il au moins confusément, car il n’a jamais manqué de protester qu’il était tout disposé, en tant que savant, à étudier l’esprit religieux, même l’esprit religieux confessionnel, dans toutes ses manifestations. Mais en tant qu’homme, professeur ou journaliste, son principal souci sera de contribuer dans la mesure du possible à détruire toute religion ; et au résumé il s’occupe fort peu d’étudier jamais l’esprit religieux, tandis qu’il s’emploie sans réserve à tâcher de saper toute religion. C’est l’homme de parti, et l’homme d’un parti étroit, que nous avons devant nous ; et nous ne le voyons se servir de ce qu’il appelle la science ou la critique, qu’autant qu’il y croit voir un moyen de faire triompher sa cause.

Il va jusqu’à se servir de la religion elle-même contre la religion. On ne peut interpréter autrement le soin qu’il apporta à vouloir faire pénétrer au Danemark les idées libérales du célèbre théologien américain Theodor Parker. Ces idées, qui ont été exposées en leur temps aux lecteurs de cette Revue[1], peuvent être considérées comme l’épanouissement des premières doctrines de Schleiermacher. Était-ce pour se prouver à lui-même son impartialité, que M. Brandes s’en faisait ainsi le champion ? Ce qu’il y a d’évident, c’est que M. Brandes avait déjà suffisamment pris position sur le terrain de la lutte antireligieuse, pour qu’on puisse affirmer en toute certitude que ce n’était pas pour ce que les doctrines de Parker pouvaient contenir en elles de « religiosité, » qu’il cherchait à les répandre, mais uniquement à cause de l’appui qu’elles pouvaient fournir à la lutte qu’il avait entreprise contre l’esprit rigidement confessionnel de l’église de Danemark.

Entre temps, M. Brandes, qui vraiment étudiait tout, qui avait

  1. Theodor Parker, par Albert Réville. (Voyez la Revue du 1er octobre 1861.)