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actuelle de la littérature et même de la science contre le positivisme ; en Angleterre, avec la merveilleuse floraison poétique qui occupe tout ce siècle ; en Allemagne, avec ce qu’il y a de meilleur dans leurs classiques, avec leurs romantiques aussi, et puis avec Heine, la figure la plus haute de la jeune Allemagne. Quand donc M. Brandes nous parle de l’esprit du XVIIIe siècle, de quoi nous parle-t-il au juste ? Et quand il nous dit que l’esprit du XVIIIe siècle a peu à peu regagné de 1825 à 1848 le terrain perdu de 1800 à 1825, qu’est-ce que cela signifie exactement ? On conçoit toute l’importance que nous devons attacher à ces questions en étudiant l’œuvre de M. Brandes, puisqu’il nous déclare lui-même constamment que c’est là ce qui fait le fond de son œuvre. « Je ne prétends pas, dit-il, pour parer à une objection trop facile à prévoir, que l’esprit libéral qui triomphe enfin au XIXe siècle soit identique à l’esprit du XVIIIe siècle, ni que la littérature ou la science d’aujourd’hui aient le même cachet que la littérature et la science d’alors ; Voltaire et Rousseau, Lessing et Schiller, ne ressuscitent pas, mais ils sont vengés de leurs adversaires. » Mais de même que M. Brandes ne nous explique que par le mot, devenu vague et incolore, de « libéral, » ce qu’il juge être la quintessence commune de l’esprit de Voltaire, Rousseau, Lessing et Schiller, de même il ne nous dépeint que par les mots de « renouveau libéral » ce qu’il appelle le retour triomphant des idées du XVIIIe siècle dans le XIXe. Pour nous rendre compte du « libéralisme » de M. Brandes, il nous suffira de remarquer qu’il n’a pas assez de cris de haine et de mépris contre tout ce qui est seulement teinté de spiritualisme, et que tout naturellement ensuite son enthousiasme ne tarit pas, chaque fois qu’il a l’occasion de défendre, même de très loin, le matérialisme le plus naïf et le plus élémentaire.

L’œuvre de M. Brandes est trop considérable, et il a eu à porter des jugemens sur un trop grand nombre d’écrivains, pour qu’il soit possible dans les limites d’un article d’examiner séparément, soit pour les réfuter, soit pour les approuver, ses idées sur tel ou tel écrivain pris en particulier. M. Brandes a de plus trop déplacé lui-même la question pour qu’il soit même utile de rechercher ses idées propres sur l’esthétique. Quoi que M. Brandes ait pu penser de tel ou tel, quelles qu’aient pu être ses préférences en art, ce qu’il nous importait avant tout de savoir, c’était ce qu’il avait prétendu faire, quels principes avaient dirigé son travail, en un ; mot quelle avait été sa méthode. Nous pensons avoir suffisamment montré que M. Brandes s’est jugé lui-même en tant qu’historien de la littérature.

Rechercher quelle avait pu être, soit sur leurs contemporains, soit sur les générations suivantes, l’influence, non-seulement litté-