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Schlegel eux-mêmes abandonnaient de plus en plus la littérature pure pour des travaux scientifiques. Sans doute, quelques-uns de ces écrivains continuèrent à produire, sans doute de nouvelles jeunes recrues arrivèrent qui se réclamèrent d’eux, mais M. Brandes comprend si bien lui-même que ce n’est pas cela qui est important dans l’histoire de l’école romantique allemande, que c’est à la période que nous venons de préciser qu’il accorde le plus de place, presque toute la place, dans le volume qu’il a réservé à cette école romantique.

Et dans cette façon de procéder, dans ce choix continuel des grands noms, alors même qu’ils servent le moins bien le but que s’est proposé M. Brandes, nous avons le secret de ce qui donne quand même à son œuvre une véritable valeur. M. Brandes a, en effet, maintes fois subi le joug de son titre. Il ne s’est jamais appuyé que sur les vieux classemens hâtifs et sommaires nés des nécessités de la critique au jour le jour et passés tels quels dans l’histoire littéraire. Mais ceux de ces classemens qui ont survécu ont survécu justement parce qu’ils se trouvaient contenir une part de vérité, et M. Brandes, s’il n’a rien éclairé d’une lueur spéciale et nouvelle, a tout au moins fait bénéficier son œuvre de ce que pouvaient avoir de justifié les vues d’ensemble acceptées antérieurement à lui. Il faut ajouter que, dans le détail, une fois l’étude d’un écrivain commencée, M. Brandes se contente à peu près d’analyser, sans trop le défigurer, l’esprit des œuvres étudiées. Il veut mériter le titre de savant, et il sait qu’on le lui contesterait tout de suite, s’il n’acceptait pas comme choses à peu près sacrées les conclusions admises en Allemagne par la « science allemande. » Il est bien rare qu’en Allemagne, — comme peut-être partout ailleurs, — quelqu’un prétendant à une situation, même seulement toute morale, dans le monde officiel de la science, ose jamais essayer de présenter un écrivain sous un aspect différent de celui qui lui a été une fois assigné par l’ensemble de la critique. Les historiens allemands s’appliquent peut-être plus que nous, sinon avec plus de pénétration, du moins avec une minutie beaucoup plus grande, à définir et à classer un talent ou une figure d’écrivain ; mais une fois ce travail fait, comme on le déclarera scientifique, tout le monde croirait sacrilège de ne pas s’en tenir désormais à ces conclusions dites scientifiques. M. Brandes n’était pas homme à s’insurger contre cette loi, et il met presque toujours une sourdine à ses anathèmes, quand il entre dans l’examen détaillé d’une œuvre qui ne lui plaît pas, mais qui est reconnue comme une belle œuvre par la critique. Souvent même, et sans doute veut-il ainsi se prouver à lui-même son impartialité, il ne craint pas de combler d’éloges des hommes et des œuvres qu’on devine cependant lui