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raison, de M. Mabilleau, quand, sur la parole de Sainte-Beuve et de Gautier, c’est de la publication des Œuvres d’André Chénier « qu’il fait dater vraiment la poésie moderne ; » ou de M. Renouvier, quand il croit retrouver dans « le récit de Théramène, » tout ce qu’on loue d’innovations rythmiques dans l’Aveugle et dans le Mendiant ? il exagère, mais il a raison. Pas plus que Lamartine, Hugo n’a rien appris de Chénier, dans les vers mêmes duquel nous savons, — par son Journal des idées d’un jeune Jacobite en 1819, — que, s’il admira des « expressions d’une énergique trivialité dans la grandeur, » il fut au contraire choqué de « la bizarrerie des coupes, » et de ce qu’il appelle assez heureusement « la manie de mutiler le phrase, pour la tailler à la grecque. » Mais, à propos de romantisme, laisserai-je passer, sans la relever, cette opinion de M. Mabilleau « que, de rapporter à une série de précurseurs, — comme Chateaubriand, Mme de Staël, Lamartine, — chacun des caractères qui distinguent le romantisme achevé, c’est reconnaître implicitement qu’on n’a pas su découvrir ce qui fait l’unité du système ? » Et, en effet le romantisme, aux yeux de M. Mabilleau, c’est Hugo. Pour cette raison cependant il faut que le romantisme soit un « système » et que ce système ait son « unité, » M. Mabilleau néglige de nous le dire ; et j’imagine qu’il aurait quelque peine à nous le démontrer. Le matérialisme est un « système » et l’idéalisme en est un autre ; mais ni le réalisme ni le romantisme ne sont seulement des « doctrines. » Ce sont des noms, sous lesquels on enveloppe des simultanéités ou des successions de faits qui n’ont rien de nécessaire ni même souvent de logique ; et le grand danger que l’on coure quand on en veut parler, c’est précisément, pour vouloir les réduire à je ne sais quelle unité factice, d’en méconnaître la richesse ou la complexité. Je ne nie pas après cela que la nature d’imagination d’Hugo fût éminemment romantique.

On pourrait faire d’autres chicanes à M. Mabilleau. Que veut-il dire, par exemple, quand il loue quelque part « la surprenante érudition » et « l’universelles curiosité » d’Hugo ? Curiosité de quoi ? Des découvertes de la science ? ou des progrès de la philologie ? On aimerait à le savoir. Mais, pour l’érudition d’Hugo, je me contenterai de renvoyer le lecteur au chapitre que M. Renouvier, qui est un brave, n’a pas craint d’intituler : Ignorance et absurdité. « En première ligne des traits d’ignorance d’Hugo dans ses œuvres, dit M. Renouvier, il faut mettre ceux qui dénotent à la fois le manque de l’instruction la plus commune des hommes de lettres ; une indifférence étonnante sur l’exactitude des applications qu’il fait des noms d’hommes illustres aux idées ; et la persuasion où il est de tomber sur des qualifications justes, d’emblée, du même coup que sur une imagination attrayante, ou sur un mot qui sonne comme il faut. » C’est M. Renouvier, encore ici, qui a raison, et quelques-unes des preuves qu’il donne à l’appui de son jugement sont