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d’avoir une idée de ce que sont les appartemens moyens des nouveaux quartiers. L’immeuble abrite trente-trois familles. La première que nous visitons occupe trois pièces, et se compose de quatre sœurs, dont une a deux enfans. On nous reçoit aimablement dès qu’on sait que je suis un étranger curieux des choses de Naples. L’appartement est dans un ordre parfait ; les murs sont blancs, et partout ornés d’images ou de photographies encadrées. Un dindon gris se promène sous la table de la cuisine, et deux pigeons à huppe roucoulent sur le rebord. « Combien payez-vous ce joli appartement, madame ? — Vingt-six francs par mois. — Vous vous trouvez bien ? — Parfaitement. Nos voisins n’ont que deux pièces, mais ils paient moins cher, dix-sept francs seulement. » Le voisin n’a pas de dindon, mais il a une poule. C’est un vieil ouvrier menuisier, qui ne doit pas avoir la clientèle de la noblesse ou de la banque. Il nous déclare qu’il ne peut pas se plaindre du logement, et que sa poule lui donne un œuf tous les jours. Le troisième ménage est tout jeune, et la belle fille qui nous guide n’a pas besoin qu’on lui demande si elle est heureuse. Cela se voit assez au sourire qu’elle nous fait, à l’épingle de corail, triomphalement piquée dans son chignon crépu, et à l’absence de dindon, de poule ou de pigeons. Le bien-aimé courait la ville. Elle l’attendait. « Il est lustrascarpe, nous dit-elle, cireur de bottes. »

En somme, les appartemens sont fort bien, mais le prix ne peut convenir qu’à des ouvriers ayant des économies, ou à de tout jeunes gens, qui espèrent en faire.

Les pauvres véritables, sortis des taudis d’en bas, n’ont pas d’asile ici. Et je ne sais ce qu’ils deviennent. L’heure est cruelle pour eux.


Les étrangers qui vont voir la grotte du Chien ne regretteront pas, s’ils ont la bonne idée de le faire, une visite à la Vicaria. C’est moins loin et plus drôle. La rue qui mène à ce célèbre tribunal s’appelle naturellement la via del Tribunale. Elle a toujours été longue, étroite, commerçante et très habitée ; mais elle est devenue plus accueillante qu’autrefois, et l’on ne voit plus, sur les murs de l’hôpital della Pace, l’inscription qui renfermait si plaisamment une idée respectueuse : « In queuta via, non possono habitare ne meretrici, ne soldati, ne studenti, ne simili genti. Dans cette rue, ne peuvent habiter ni filles de joie, ni soldats, ni étudians, ni gens de cette espèce. » La pierre qui portait les lettres est au musée de San-Martino, et l’esprit qui les avait tracées… mon Dieu ! qu’il est loin de nous !

Je suis guidé par un jeune avocat de Naples : « Nous sommes