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que nous[1]. Si l’on s’en tient aux faits, l’on voit que, au lieu d’appauvrir les travailleurs, la formation du capital tend partout à relever le prix du travail et le bien-être des travailleurs. Au rebours des théories de Karl Marx et de ce bon Tolstoï, les pays où le capital mobilier est le plus abondant, les pays où le capital grossit le plus vite, sont justement ceux où le travail manuel est le mieux rémunéré, où l’ouvrier est le mieux logé, le mieux nourri, le mieux vêtu, tout en fournissant le moins d’heures de travail. Au lieu d’empirer la situation des prolétaires, — comme ils aiment à se nommer pour protester contre l’ordre social dont ils se croient les victimes, — le capital améliore progressivement la situation matérielle de l’ouvrier, en rehaussant le taux des salaires. Que si l’on étudie l’histoire économique des cent dernières années, on découvre que les classes qui ont le plus bénéficié de la multiplication des capitaux sont celles qui se prétendent spoliées par le capital. En dépit des sophismes dont se repaît leur ignorance, elles le sentent elles-mêmes d’instinct ; c’est pour cela que les ouvriers affluent dans les pays à capitaux accumulés, délaissant les régions pauvres pour les pays riches, parce qu’ils savent que leurs bras y seront mieux rétribués. Nous ne saurions donc, comme le font, à la suite des socialistes, certains mystiques plus zélés qu’éclairés, condamner a priori, au nom de la morale et de la justice, le « capitalisme » et la richesse mobilière. Affirmer que le capital appauvrit les classes ouvrières, c’est encourir le démenti des faits, et mieux vaut ne pas se brouiller avec les faits.

Il n’est pas besoin de longs voyages pour s’apercevoir que l’ouvrier est plus pauvre dans les pays pauvres que dans les pays riches. Qui en doute n’a qu’à visiter les solfatares de Sicile ou les distilleries de Russie. Si, à tout prendre, depuis un siècle, depuis un tiers de siècle surtout, nous sommes témoins d’un exhaussement régulier de la condition des masses, nous le devons, avant tout, à la multiplication des capitaux[2].

Le capital est partout le pourvoyeur du travail. Selon le mot d’un savant catholique[3], l’accroissement de la fortune des

  1. Voyez, par exemple, l’ouvrage de mon frère Paul Leroy-Beaulieu : le Collectivisme, examen critique du nouveau socialisme.
  2. Voyez, entre autres, M. Robert Giffen : The Growth of capital, 1890, et M. Leone Levi : Wagen and eartrings of the working classes. Ces savans ont montré que, en Angleterre, le revenu moyen des familles ouvrières, de 1857 à 1884, avait augmenté de 30 p. 100, et que cet excédent de revenu était loin d’avoir été absorbé par la hausse des prix, beaucoup d’objets de consommation ayant au contraire diminué. La même observation pourrait., au moins partiellement, s’appliquer à la France.
  3. M. Claudio Jannet, le Capital, la Spéculation et la Finance au XIXe siècle. p. 19.