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C’est ainsi que le traité d’Utrecht, en confirmant, dans son article XII, la pleine possession de la France sur le Canada, en avait détaché, pour en faire cession à l’Angleterre, la petite péninsule d’Acadie, située en face du golfe Saint-Laurent et ne tenant au continent que par une étroite langue de terre ; mais l’article avait négligé de dire à quelle étendue de territoire était attribué ce nom d’Acadie, et si on devait y comprendre, outre la presqu’île elle-même, quelque partie de la terre ferme à laquelle elle était attachée et qui en ouvrait l’accès. On disputait encore sur ce point quand, la guerre ayant éclaté de nouveau en 1741, ce litige, comme tous ceux qui partageaient les deux États, s’était trouvé, par le fait, suspendu.

Les plénipotentiaires d’Aix-la-Chapelle auraient été naturellement appelés à le trancher ; mais ceux-ci, fidèles jusqu’au scrupule à leur principe de remettre toutes choses au point où la guerre les avait trouvées, n’eurent garde de se montrer plus explicites que leurs devanciers. Par un arrangement verbal qui ne figura pas même dans le texte du traité, ils convinrent que la question des limites de l’Acadie serait, ainsi que plusieurs autres de la meure nature, renvoyée à l’examen de commissaires spéciaux, choisis par les deux gouvernemens et qui se réuniraient à Paris pour en préparer la solution.

Cette manière de se décharger sur l’avenir des embarras présens, ayant produit de fâcheuses conséquences, a été sévèrement critiquée. Rien cependant de plus explicable quand on se rappelle les incidens de la négociation qui avait précédé le traité. Le maintien d’un accord constant et complet entre les plénipotentiaires anglais et français avait été le seul moyen d’obtenir ou plutôt d’arracher l’adhésion de l’Autriche. Ces deux envoyés n’avaient donc dû avoir rien de plus à cœur que d’éloigner tout ce qui aurait pu devenir entre eux le sujet d’une dissidence. On ne voit pas trop d’ailleurs quelle eût été leur compétence pour trancher, à de telles distances du lieu du conflit, des questions auxquelles ils n’avaient probablement songé de leur vie, et le temps manquait pour une étude prolongée. Enfin ne pouvaient-ils pas assez raisonnablement penser que, puisque le différend avait déjà duré une fois plus d’un quart de siècle sans donner lieu à de trop graves désordres, on pouvait prendre encore quelques mois ou même quelques années de plus pour en traiter de sang-froid entre gens qui en connaîtraient mieux la nature ?

Seulement, ils n’avaient pas suffisamment réfléchi que sept années d’hostilités ouvertement déclarées et activement poursuivies sur les territoires litigieux eux-mêmes, avaient dû singulièrement