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pour éviter de nouvelles rencontres, les territoires contestés fussent évacués d’un commun accord. Tout fut inutile : les ouvertures françaises étaient au premier moment favorablement accueillies par le ministère britannique, mais à la première manifestation de la Cité ou de la chambre tout le monde reculait et personne ne voulait plus y avoir même prêté l’oreille. Les ministres avaient même une assez singulière manière d’expliquer ces changemens de front. « Vous en prenez à votre aise, disait à l’ambassadeur de France le ministre Robinson (à qui le duc de Newcastle avait confié les affaires étrangères) ; vous procédez en sûreté sous l’autorité de votre roi, mais il n’en est pas de même pour nous, et c’est la tête du duc de Newcastle et la mienne qui répondront de tout ce que nous faisons avec vous. Puis ne voyez-vous pas, ajoutait-il, que le langage que nous tenons et les mesures que nous sommes forcés de prendre ne sont pas tant dirigées contre vous que destinées à faire tenir nos colons tranquilles ? ils n’ont déjà que trop peu de tendance à nous obéir. »

Si des déclarations de cette nature étaient destinées à rassurer l’ambassadeur, elles étaient loin d’atteindre leur but, car Mirepoix, en renvoyant un contre-projet qu’on lui communiqua en réponse à celui qu’il avait transmis, avertissait le ministre de Louis XV que les instans étaient précieux et que, si les conditions faites par l’Angleterre paraissaient acceptables, il fallait se hâter d’y adhérer, car, dans les circonstances actuelles, le moindre incident pourrait faire pousser les choses aux dernières extrémités[1].

Malheureusement le contre-projet anglais était conçu (peut-être à dessein) dans des termes à ne pouvoir même supporter la discussion. En s’adjugeant, en sus de la presqu’île d’Acadie, vingt lieues de territoire à prendre sur le Canada, et en neutralisant tous les abords du golfe Saint-Laurent, le projet de l’Angleterre bloquait la France dans ses possessions du Nord, et lui coupait toute communication avec les établissemens qu’elle avait fondés sur les bords des grands lacs et sur le Mississipi. L’esprit de conciliation et même de condescendance ne pouvait aller si loin : de bonne ou mauvaise grâce, il fallut bien se résigner à considérer la rupture comme imminente, et se demander ce qu’on avait à faire pour s’y préparer.

L’embarras était sérieux, et jamais, à vrai dire, gouvernement n’eut question plus délicate à résoudre. S’il était un fait qui eût été démontré dans le cours de la dernière guerre, c’était l’infériorité de la marine française et son impuissance à se mesurer

  1. Mirepoix à Rouillé, 6-25 février 1755 (Correspondance d’Angleterre : ministère des Affaires étrangères).