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destiné à lui démontrer la justice de la cause soutenue par l’Angleterre. On a vu aussi qu’avant même de partir, Holderness avait dû recevoir du duc de Brunswick l’avis que Frédéric était disposé d’avance à entrer en arrangement, pourvu qu’on voulût bien lui faire quelque proposition acceptable. De retour à Londres, le ministre anglais ne manqua pas de faire parvenir sans délai le mémoire annoncé, mais il ajouta que, comme on ne pouvait savoir de quelle nature une proposition devait être pour paraître acceptable au roi de Prusse, le plus simple serait de députer à Berlin un agent anglais chargé de s’entendre avec le roi pour assurer la sécurité de l’Allemagne.

L’offre paraît avoir causé à Frédéric une désagréable surprise. L’arrivée d’un envoyé anglais chargé d’une mission spéciale à sa cour eût été, en effet, un fait d’une publicité retentissante qui aurait mis tous les spectateurs au courant d’un projet à peine ébauché et justement éveillé les susceptibilités de la France. Avec la défiance qui lui était naturelle, il ne vit, dans cette manière d’aller si vite en besogne, qu’une indiscrétion calculée pour le compromettre. Aussi se crut-il en droit d’y opposer une réponse pleine de vivacité et d’aigreur. Son humeur était même tellement excitée que, pour être sûr de ne pas dépasser la mesure en l’exprimant, il s’y reprit à plusieurs fois, et on ne trouve pas moins, dans la collection des lettres royales, de trois ébauches d’épitres différentes, portant ces intitulés significatifs : Projet de lettre à écrire avec ouverture ; — Autre projet de lettre moins naturelle et plus circonspecte. Mais la dernière, la seule qui dût parvenir à son adresse, porte encore la trace d’une irritation mal contenue : — « J’ai reçu, écrit-il au duc de Brunswick, le factum des Anglais avec les cartes de Cayenne (sic) que vous avez eu la bonté de m’envoyer. C’est une cause très compliquée, et qu’il semble que le hasard ait pris plaisir à embrouiller… C’est à Dieu, le seul juge des rois, à décider du droit des nations… Je passe à présent de l’Amérique en Europe et de l’Europe à notre chère patrie. Si j’ai bien compris votre lettre, je crois y avoir entendu que le roi d’Angleterre exige de moi une déclaration de neutralité pour ses États de Hanovre. Quant à la Prusse, je peux lui répondre que nous n’avons jamais eu de dessein ni direct ni indirect sur les possessions allemandes du roi d’Angleterre, sur lesquelles nous n’avons ni droit, ni prétention… mais comment le roi d’Angleterre veut-il prétendre de moi, qui ne suis ni en liaison ni en traité avec lui, que je réponde des événemens futurs, lui qui ne s’explique point de ses propres desseins et qui peut prendre telles mesures qui m’obligeraient à contre-cœur de sortir de l’inaction et de prévenir des con jonctures dont le danger pourrait retomber