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En réalité, sous cette apparente indifférence, il n’aurait pas été fâché de tirer au clair ce qui se méditait, et l’un des moyens qui lui parut le plus sûr pour s’en informer sans trop laisser voir d’inquiétude, ce fut de tâcher de faire parler Mme de Pompadour, qui devait tout savoir. Vaine et bavarde, comme il supposait que devaient être toutes les femmes, elle laisserait peut-être échapper un secret, ne fût-ce que pour montrer qu’il n’y avait rien de caché pour elle. Il recommanda donc très expressément à Knyphausen d’aller la voir sous prétexte de la remercier des complimens qu’elle lui avait fait porter par le duc de Nivernais. Cette démarche la mettrait peut-être en humeur de s’employer elle-même à calmer l’irritation générale, ou tout au moins, en conduisant adroitement la conversation, on pourrait tirer d’elle ce qui se préparait en fait de revanche : « Allez sans affectation chez elle pour lui dire des obligeances de ma part au sujet desquelles je vous laisse l’entière liberté de les tourner de la façon qu’il convient et qu’elles sauront porter coup : je nie persuade que, pourvu que vous vous preniez bien là-dessus, cela aplanira beaucoup d’aigreur qui tient peut-être au cœur des ministres et calmera les impressions vives qu’ils ont prises à mon sujet… Tâchez de la flatter pour voir si peut-être elle se lâchera et dira par emportement ce que les ministres cachent par sagesse[1]. »

Par malheur, Mme de Pompadour était, à cette heure-là même, très difficile à aborder. C’était le moment où elle venait d’être désignée comme dame du palais de la reine, et, pour faire accepter le scandale de cette nomination, elle avait entrepris de transformer, par des actes de piété et de pénitence ostensibles, ses relations avec le roi en une liaison épurée de confiance et d’amitié. C’était également une manière d’affermir sa situation en la régularisant, et de se mettre à l’abri des accès de dévotion dont le souvenir du sort de Mme de Châteauroux lui faisait toujours craindre le retour. De malicieux témoins allaient jusqu’à prétendre qu’elle se préparait pour prendre, le cas échéant, la place de Mme de Maintenon. Un confesseur facile, le père jésuite de Sacy, s’était prêté à cet accommodement et lui avait même fait écrire à M. d’Etiolés, son mari, une lettre touchante de repentir. On sait quel fut le dénouement de la comédie : le mari, bien avisé, refusa de recevoir la lettre, et le directeur fut désavoué par ses supérieurs. Tout rentra ainsi dans l’ordre ou dans le désordre accoutumé. Il n’y eut que la Compagnie de Jésus qui dut quelques années plus tard, quand un orage s’éleva contre elle,

  1. Pol. Corr., t. XII, p. 73, 99.