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Willmans, en contient dix mille, et à peine avait-il été publié, qu’il fallait se préparer à lui donner un supplément : on venait d’occuper la Tunisie, et les inscriptions nouvelles arrivaient en foule. Ce supplément, qu’ont rédigé MM. Schmidt et Gagnat, a doublé le nombre des inscriptions que nous connaissions, et il est probable qu’il aura bientôt besoin d’être lui-même complété.

C’est là qu’il nous faut chercher ce que de nos jours nous trouverions dans les recueils d’actes officiels et dans les journaux : les inscriptions antiques tiennent lieu pour nous des uns et des autres ; non pas que les Romains aient tout à fait ignoré le journalisme, mais ils n’en connaissaient pas toute la puissance, et ne s’en sont servis qu’accidentellement. C’est aux inscriptions qu’ils confiaient tout ce qu’ils ne voulaient pas laisser perdre, les lois, les règlemens, les décisions de l’autorité, le témoignage de leur piété pour les dieux, de leur respect pour le prince, de leur affection pour leurs proches. Bien étudiées, interprétées avec sagacité et avec prudence, elles nous donneront une foule de renseignemens sur lesquels la grande histoire est muette.

Cherchons ce qu’elles nous apprennent de la question qui nous occupe.

L’Index du VIIIe volume du Corpus commence par relever la série des noms propres qui se trouvent dans le volume[1]. Comme ces noms figurent dans des inscriptions latines, nous sommes sûrs que de quelque façon les personnages qu’ils désignent ont été mêlés à la vie romaine. On en compte à peu près dix mille, et sur ce nombre il y en a deux cents à peine dont on puisse affirmer du premier coup avec quelque assurance qu’ils appartiennent à des indigènes. Les autres ont tous les signes auxquels on reconnaît d’ordinaire un citoyen romain, et même beaucoup d’entre eux semblent se rattacher aux plus grandes maisons de Rome. Nous verrons plus loin que cette apparence est souvent trompeuse et qu’il y avait beaucoup de ces Romains prétendus dont l’origine était fort différente. Il n’en est pas moins vrai qu’au premier abord, quand on compulse les listes du Corpus, on se croit presque toujours en présence de gens qui sont sortis directement de l’Italie et qui ont fait souche en Afrique. — Remarquons que, s’il en était ainsi, la conquête romaine ressemblerait singulièrement à la nôtre. Dans les deux cas un peuple d’étrangers serait venu envahir et gouverner le pays, et ces décurions des villes, ces fermiers des campagnes, dont les inscriptions nous donnent les noms, appartiendraient tous à la race victorieuse, comme nos conseillers

  1. Il n’est question ici que du volume publié par Willmans. L’Index du supplément n’a pas encore paru.