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s’appelle Q. Postumius Celsus. Voilà bien, à ce qu’il semble, un véritable Romain. Il est désigné par ces tria nomina (prénom, nom, surnom), dont Juvénal nous dit qu’ils remplissent d’orgueil celui qui a le droit de les porter ; et tous les trois sont empruntés à la meilleure latinité. Mais poursuivons : pour nous faire tout à fait savoir l’état civil de Postumius, on nous dit qu’il est le fils de Iudchad, Iudchadis filius, c’est-à-dire d’un indigène. Nous voilà renseignés ; sous un nom romain se cache une origine africaine. Il en est de même d’un certain Q. Celius Secundus, de la même ville, et de C. Julius, dont la tombe a été retrouvée près de Thagaste. Ceux-là ne nous disent pas le nom de leur père, mais à côté de leur épitaphe latine, ils ont fait graver des inscriptions punique et libyque : c’est nous faire savoir clairement à quelle race ils appartiennent. Ces exemples, qu’on pourrait beaucoup multiplier, nous prouvent qu’il ne faut pas croire que tous ceux qui portent des noms romains viennent directement de quelque port d’Italie. Un très grand nombre d’entre eux étaient originaires de l’Afrique, Carthaginois ou Numides de naissance, et nous pouvons être sûrs que le nom qu’ils portaient n’était pas celui de leurs pères.

Pouvons-nous savoir la raison qui les a portés à le quitter ? Pour la plupart d’entre eux, rien n’est plus aisé : ils ont dû recevoir de Rome le droit de cité, et en changeant de condition ils ont changé de nom ; c’était leur droit, et même leur devoir. Mais nous pouvons être sûrs qu’il est arrivé à beaucoup aussi de le faire sans y avoir aucun titre. Ils ont devancé la faveur que Rome devait un jour ou l’autre leur accorder et n’ont pas attendu d’être des citoyens optimo jure pour quitter leur ancien nom. C’est ce qui arrivait à peu près dans tout l’empire ; et cet abus devint si fréquent que Claude crut devoir faire un édit pour l’empêcher.

En Afrique, l’usurpation des noms romains a dû commencer de très bonne heure. En 742 de Rome, dix ans avant notre ère, un petit bourg, appelé Gurza, dont il reste quelques débris aux environs de Sousse, décide de se choisir un Romain important pour protecteur, ou, comme on disait, pour patron. On rédige un décret en latin et les magistrats le signent. Mais le latin est très médiocre, et les magistrats s’appellent Ammichar, fils de Milchaton, Boncar, fils d’Azrubal, et Muthunbal, fils de Saphon : ce