Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les efforts de troupes sans cesse renforcées et n’avaient cédé que le soir, quand l’épuisement leur enlevait la force de vaincre une fois de plus. Un tel héroïsme ne portait-il pas témoignage contre ceux qui n’avaient su rien en obtenir, sinon des dévouemens stériles et mortels ? La supériorité numérique des Allemands était-elle une excuse pour ceux qui avaient mission de la prévoir et de nous rendre égaux à nos ennemis ? D’ailleurs le premier flot de l’invasion n’avait pas jeté plus de 350 000 Allemands sur notre sol, nous avions donc à combattre trois contre quatre : pourquoi les Allemands avaient-ils pu changer partout cette proportion à leur profit et surprendre, avec leurs forces toujours réunies, nos corps isolés et qui jamais ne s’étaient soutenus ? La conclusion était que dans nos malheurs, outre des victimes, il y avait des coupables. Les victimes étaient les soldats et la France : les coupables étaient ou les généraux pour n’avoir employé ni le temps ni les troupes, ou le gouvernement pour n’avoir pas fourni aux généraux les moyens de vaincre. Et l’opinion, incapable de faire dans cette surprise des événemens la part des responsabilités, portait partout le soupçon sous prétexte d’éclairer sa justice, et s’élevait contre tous ceux dont les noms étaient mêlés à nos échecs.

Le premier accusé était l’empereur. Depuis l’ouverture de la campagne, il exerçait le commandement. Il l’avait pris par embarras de le donner. Quand nul homme de guerre n’impose sa primauté par l’éclat de services hors pair, la première difficulté de la guerre est en effet de choisir un chef parmi des généraux d’ordinaire jaloux les uns des autres et mal disposés à obéir à celui dont ils s’estiment les égaux. L’empereur avait cru les indisposer moins en gardant la première place qu’en la décernant, obtenir des concours plus disciplinés, s’assurer enfin sa part de gloire. Par une conséquence imprévue mais inévitable, l’impopularité de tous les insuccès montait jusqu’à lui. On le déclarait inexcusable de s’être, malgré une inaptitude militaire que la campagne d’Italie avait mise hors de doute, obstiné dans l’ambition de conduire les armées, comme s’il suffisait d’avoir écrit la vie de César pour y découvrir le secret de la victoire ! comme si le droit de jouer sur les champs de bataille la vie des hommes et celle des peuples lui appartenait par droit de préséance ! On lui reprochait d’avoir, mauvais juge d’autrui comme de lui-même, choisi ses principaux auxiliaires parmi ses familiers, distribué les places comme si une armée en marche était une cour en voyage, et compté surtout aux généraux leurs campagnes des Tuileries. Elles avaient, disait-on, valu un corps d’armée à l’aide de camp de l’empereur, de Failly, qui n’avait pas marché au canon de