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l’action avaient peur de toutes ces espérances. Outre que les chances d’un coup de main -étaient incertaines, et, si elles tournaient mal, autorisaient le gouvernement à anéantir par la rigueur des représailles les progrès lentement gagnés par la sagesse des républicains, le succès même de l’aventure ne leur paraissait guère moins redoutable, s’il livrait la France aux fanatismes et aux cupidités dont ils recevaient la confidence ou dont ils surprenaient le regard. Enfin ils songeaient à eux-mêmes, et n’ignoraient pas que les héros de tribune semblent au peuple des femmes bavardes, quand s’élèvent les héros des barricades. Il leur faudrait disputer le pouvoir à ces parvenus de l’émeute, le conflit serait périlleux et, les parlementaires dussent-ils l’emporter, la lutte imprimerait à l’origine de leur pouvoir cette flétrissure de réaction, aussi mortelle aux politiciens d’alors que celle de cléricalisme aux politiciens d’aujourd’hui.

Eux voulaient obtenir la déchéance de l’empire par un vote du Corps législatif. Sans doute, fait par le gouvernement plus que par les électeurs, il était lié par ses origines mêmes à la dynastie. Mais depuis 1789 les assemblées françaises ne sont plus fidèles qu’au bonheur, et plus d’une fois le pouvoir impérial avait été condamné par ses créatures. La vengeance serait plus complète et la chute plus définitive si l’empire tombait par la sentence de ceux qu’il avait choisis lui-même comme amis de César. Plus ce Parlement se sentirait suspect et entraîné dans le désastre du maître, plus il serait tenté de le renier et de pourvoir à son propre salut par la fondation d’un gouvernement populaire. Ils voyaient la majorité déconcertée se tourner d’instinct vers M. Thiers et subir chaque jour davantage son influence. Il serait l’homme de la transition, recevrait du Corps législatif le pouvoir, auquel il associerait les députés républicains. Le Corps législatif durerait jusqu’à la paix, afin d’en régler les conditions et d’en porter la responsabilité. Ensuite la France, consultée par les hommes qui, innocens de ses malheurs, auraient recueilli le gouvernement pour la guérir, accepterait d’eux la République, et, grâce au vote des conservateurs eux-mêmes, les républicains parlementaires échapperaient au fléau de la tyrannie jacobine et des expériences socialistes. L’intérêt et le vœu des députés républicains étaient donc de faire la révolution par la légalité. En contact permanent, par leur mandat, avec le Parlement et, par leurs pourparlers, avec la démagogie, ils crurent trouver dans cette fausse situation leur force, et se flattèrent de dominer à la fois la révolution et la Chambre en faisant à chacune peur de l’autre. Dans les conciliabules avec le parti d’action, les députés les plus révolutionnaires de parole,