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secondaire, pouvant seulement servir, au besoin, d’entrée en matière ou de prétexte à des ouvertures d’une autre amplitude. Aussi, le 5 avril, un long mois après son arrivée, pouvais-je écrire : « Ce qui décidément paraît former le principal objet de sa mission, ainsi que je vous l’ai annoncé dès les premiers jours, c’est la conclusion d’un traité d’alliance qui renouerait les liens rompus par la convention signée à Londres en 1841… Ce qui est certain, c’est qu’on a tout mis en mouvement pour renouveler le traité d’Unkiar-Skelessi ; on fait à cet égard les tentatives les plus pressantes ; et le grand vizir m’assurait lui-même, avant-hier, que pour prix de cette concession l’ambassadeur de Russie serait disposé à abandonner toutes les réclamations qu’il est chargé de soutenir. »

La Russie, à vrai dire, obéissait à des traditions séculaires et nationales. Elle reprenait, pour la continuer, une œuvre avouable, l’émancipation des chrétiens ses coreligionnaires, dans la pensée, bien entendu, de fonder son crédit en Orient sur la reconnaissance des populations affranchies, — pensée vaine et décevante en tout temps et en tout pays, l’événement ne l’a que trop démontré ! C’est l’armée russe qui, arrivant, victorieuse, sous les murs de Constantinople, a arraché à la Porte la délivrance des nouveaux États récemment formés sur les deux rives du Danube. La Serbie et la Moldo-Valachie ont été érigées en royaume ; la Bulgarie a été constituée en province autonome et indépendante ; et pour prix du sang versé, des sacrifices qu’elle s’est imposés, la Russie n’a recueilli que l’ingratitude des peuples qu’elle a délivrés du joug ottoman. Jamais son influence dans ces contrées n’a été plus outrageusement méconnue et son amour-propre n’a été mis à de plus rudes épreuves. Il est vrai que l’exemple et les encouragemens sont venus d’en haut. C’est au Congrès de Berlin, en 1878, que la prépondérance du gouvernement moscovite en Orient a été, en quelque sorte, garrottée par les efforts réunis de l’Angleterre et de l’Allemagne : celle-ci cependant devait à la bienveillante neutralité de la Russie d’avoir été trois fois victorieuse. L’expérience, cette fois, était concluante ; les illusions n’étaient plus permises, et le nouveau tsar rompit résolument des relations dont on avait abusé avec la plus noire perfidie. Il a noué de nouveaux liens, qui ont eu pour premier effet de mettre un frein à une ambition devenue un danger permanent pour la paix de l’Europe. Nul ne s’est trompé sur la sagesse et la valeur de ses déterminations. Les deux peuples qu’il a rapprochés l’ont acclamé de son vivant, et unanimement regretté depuis sa mort par des témoignages éclatans de sympathie et de vénération. Sans les dissiper absolument, cette politique nouvelle a