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général de Hess maintint ses résolutions avec une persévérance égale à celle que M. de Bruck mettait à les défendre à Constantinople ; et on eut cet étrange spectacle d’agens militaires et diplomatiques ne cessant de reproduire et d’affirmer des prétentions que leur gouvernement ne cessait de désavouer. L’occupation exclusive des Principautés par les troupes autrichiennes constituait cependant un acte indirect d’hostilité contre les alliés combattant en Crimée, en permettant à la Russie de retirer ses troupes réunies en Bessarabie pour les diriger sur Sébastopol sans exposer à un péril quelconque la province qu’elles abandonnaient. « Mais, rassurez-vous, disait M. de Bruck, l’entrée de nos troupes dans les Principautés est le prélude du rôle prochain que l’Autriche assumera dans cette guerre ; la position qu’elle a acceptée la conduira à prendre rang parmi les alliés ; le ressentiment de la Russie lui en fera un impérieux devoir. » On l’espérait à Paris et à Londres, et les deux cabinets pressaient celui de Vienne d’intervenir activement dans la guerre. Dans l’attente qu’il s’engagerait à son tour, on usa, avec lui, de toute sorte de ménagemens dans le conflit soulevé par le général de Hess. On négociait donc à Vienne. Mais l’Autriche ne se déterminant pas à secouer des hésitations qui l’ont souvent égarée, on conclut un arrangement qui la compromettait sans la contraindre immédiatement à participer à la guerre. Le 2 décembre 1854, elle signait, avec la France et l’Angleterre, une convention par laquelle elle s’engageait « à défendre les frontières des Principautés contre tout retour offensif des troupes russes. » Elle reconnaissait, d’autre part, que la présence de ses troupes « ne saurait porter préjudice au libre mouvement des forces anglo-françaises et ottomanes dans ces provinces ou contre le territoire russe. » Les trois puissances se promettaient, en outre, si les hostilités venaient à éclater entre l’Autriche et la Russie, « leur alliance offensive et défensive dans la guerre actuelle. » Elles se promettaient enfin « de n’accueillir, de la part de la cour de Russie, sans s’en être entendues entre elles, aucune ouverture ou aucune proposition tendant à la cessation des hostilités. »

De pareilles stipulations ne sont généralement usitées que dans les cas où les contractans s’engagent à prendre une part égale dans une lutte engagée ou prochaine. L’Autriche néanmoins conserva la position intermédiaire qu’elle avait choisie. On aurait été fondé à s’en offenser à Pétersbourg ; les engagemens qu’elle avait contractés avaient en effet un caractère d’hostilité indéniable, mais le cabinet russe s’abstint de toute démonstration qui l’aurait conduite à aller jusqu’au bout de son rôle ; il évita de la contraindre à entrer en ligne à côté des alliés.