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l’occasion est excellente ; personne ne peut le trouver mauvais ni nous faire la moindre observation. »

Avant de recevoir les instructions que j’avais sollicitées, Rechid-Pacha avait cessé d’être grand-vizir. Le Sultan, de son propre mouvement, l’avait révoqué, ainsi que Kiamil-Pacha, et lui avait donné pour successeur Aali-Pacha, en ce moment aux conférences de Vienne. Les travaux du canal furent plus tard entrepris sans qu’on ait eu à s’enquérir davantage de la sanction de la Porte. On considéra que la chute des ministres disgraciés pouvait en tenir lieu.

Mais, se demandera-t-on, quelle fut, en cette occasion, l’attitude de l’ambassadeur d’Angleterre, et comment accueillit-il l’éloignement de Rechid-Pacha ? J’ai toujours ignoré les avis qu’il a pu lui donner soit avant, soit après cette étrange aventure. Il a dû certainement lui reprocher d’avoir manqué d’habileté et de discrétion. Il était trop avisé pour aller plus loin et s’engager personnellement dans une affaire compromettante ou perdue. Dans tous les cas, je n’ai eu connaissance d’aucune démarche faite au palais pour conjurer une disgrâce qu’il jugeait peut-être lui-même inévitable. Par une étrange coïncidence, la veille du jour où la décision du Sultan fut notifiée à la Porte, lord Stratford était parti pour la Crimée, et à son retour, il demeura convaincu qu’on avait abusé de son absence pour précipiter Rechid-Pacha du pouvoir. Cet événement le touchait dans son prestige et dans ses moyens d’action. Il perdait en effet le principal instrument de son influence, qu’il avait toujours défendu énergiquement contre toute agression.

Mes relations avec lui, devenues très rares, se maintenaient cependant sur un pied convenable, quand, peu de semaines après, il trouva l’occasion de me faire sentir son irritation. Nous fûmes tous deux convoqués chez le nouveau grand-vizir, qui était assisté du ministre des affaires étrangères, pour la signature d’un traité relatif à un emprunt que la Porte devait conclure et auquel la France et l’Angleterre accordaient leur garantie. Selon son habitude, il arriva tardivement. Il affecta d’échanger de chaleureuses poignées de main avec les ministres turcs et, se tournant ensuite vers moi, il se borna à me dire : « Monsieur le chargé d’affaires, j’ai l’honneur de vous saluer. » Cette marque de froide politesse était significative. Je ne crus pas devoir la relever, bien qu’il la renouvelât à son départ. J’eus bientôt le moyen de lui faire comprendre que je n’y étais pas resté insensible. Nous dûmes nous réunir de nouveau pour échanger les ratifications du traité. Le grand-vizir nous offrit, voulant faire acte de courtoisie, de