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les faits que, déjà, l’on savait expliquer et les faits qui, jusque-là, étaient demeurés inexplicables. Réfuter une idée fausse ne sert de rien si l’on ne proclame pas en même temps l’idée juste qui la doit remplacer.

De cette loi historique la théorie de la chaleur nous offre de remarquables exemples.

C’est sous les yeux de Laplace qu’en 1807 Gay-Lussac a fait écouler Fair d’un réservoir plein en un réservoir vide et qu’il a prouvé l’absence de tout dégagement, de toute absorption de chaleur durant cette modification ; Desormes et Clément ont émis sur le calorique contenu dans un espace vide une supposition que Laplace rejette, et Laplace sait qu’ils l’ont tirée très naturellement de l’observation de Gay-Lussac ; les résultats de cette observation sont évidemment inconciliables avec la théorie de la chaleur exposée dans la Mécanique céleste ; cependant, l’auteur de la Mécanique céleste se contente de passer sous silence l’expérience de Gay-Lussac.

Laplace, Berthollet, Desormes et Clément, tous les partisans de la théorie du calorique savent que le frottement dégage de la chaleur ; tous, ils avouent plus ou moins nettement que ce fait constant, indéniable, contredit leurs hypothèses ; ils continuent cependant à raisonner comme si ces hypothèses étaient vraies ; la supposition que la chaleur est la manifestation sensible d’une certaine substance matérielle ne sera abandonnée que lorsqu’une théorie nouvelle, regardant la chaleur comme l’effet produit sur nos organes par un genre particulier de mouvement, aura rendu compte non seulement des phénomènes expliqués par les partisans du calorique, mais encore de ceux que leurs adversaires leur objectaient.

Suivons les efforts par lesquels l’idée que la chaleur consiste en mouvemens très petits et très rapides des molécules matérielles s’est développée en une théorie, la théorie mécanique de la chaleur.

L’une des propositions importantes de la mécanique, la loi des forces vives, s’énonce ainsi : Quand un système matériel est en mouvement sous l’action de certaines forces, le travail effectué par ces forces pendant un certain laps de temps est toujours égal à l’accroissement subi par la force vive du système pendant ce même temps ; ainsi, à tout travail positif produit par les forces agissantes correspond, pour le système, un gain de force vive précisément égal ; à tout travail négatif, accompli à l’encontre des forces agissantes, correspond une égale perte de force vive.

Si la quantité de chaleur sensible contenue dans un corps n’est autre chose que la force vive d’un certain mouvement des