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valeresques de leurs contes ; Bojardo disait, tout comme l’Arioste :

Ed io cantando terne alla memoria
De le prodezze de’ tempi passati.


De même que la peinture italienne avait maintenu, en des formes de plus en plus belles et colorées, l’inspiration mystique de la vieille foi, la littérature revêtit de fictions de plus en plus riantes ou voluptueuses les traditions du monde féodal. Le moyen âge avait donné la fleur ; la Renaissance, en son âge d’or, recueillit le fruit.

Le conte florentin ne connut pas d’autre loi de croissance. Boccace, au milieu du XIVe siècle, nous fait voir l’éclosion d’un art nouveau qui tient encore, par ses racines les plus profondes à l’art du moyen âge. L’ironie de nos trouvères reparaît en lui ; mais l’ironie des conteurs français, quand elle s’adresse, par exemple, à l’Église, est enfantine, superficielle et fuyante : elle atteint çà et là quelque pauvre moine, quelque prouvère de campagne, engagés en un mauvais pas ; elle se permet, dans le Roman de Renard, quelque léger sacrilège : elle recule en face des graves infirmités morales contre lesquelles tonnaient les docteurs et les ascètes ; elle n’ose effleurer l’ombre même du dogme. Elle a beau se complaire à la satire ecclésiastique, ce sont toujours de joyeuses et inoffensives histoires de clercs en gaieté : Saint Pierre et le Jongleur, le Vilain qui gagna Paradis en plaidant le Testament de l’Âne. L’évêque est entré en fureur contre un bon curé qui a enterré son âne en terre chrétienne. Le curé apporte au prélat vingt livres que le laborieux animal a épargnés en vingt ans :

Pour ce qu’il soit d’Enfer délivrez
Les vos laisse en son testament.

« Que Dieu lui pardonne ses péchés, » répond l’évêque, avec une mansuétude d’héritier :

Li asnes remest crestiens.

Chez Boccace, — qu’encouragent les étonnantes audaces de Dante, les railleries prodiguées par Pétrarque à l’Église d’Avignon, — l’ironie est très libre, très consciente, encouragée par la tradition de cet épicurisme florentin que Villani signale dès le XIe siècle, affermie en outre par les sentimens nouveaux, pénétrés de rationalisme, qui viennent des lettres païennes et cette indifférence croissante pour la religion des œuvres qui éloignait peu à peu l’Italie de la pratique chrétienne.

Boccace tire beaucoup de contes de l’immense et séculaire trésor du conte universel ; mais il y mêle aussi les aventures re-