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cueillies dans Florence et les histoires, très souvent véritables, qui amusaient la cour de Robert d’Anjou, histoires napolitaines, siciliennes, grecques, orientales, africaines. Parfois, il se contente d’un motif assez vague de moralité déjà traité par quelque écrivain du moyen âge et le vivifie en le transplantant sur la terre italienne. Ainsi, pour le conte du Trompeur trompé, qui était aux Gesta Romanorum, dans la Disciplina Clericalis et le Castroiement d’un père à son fils. Le récit des compilateurs scolastiques est d’une sécheresse admirable. Un soldat a confié mille talens à un vieillard. Celui-ci, plus tard, nie le dépôt. Une vieille s’offre à aider le soldat. Elle remplit de pierres dix vases de belle apparence, soigneusement clos. Puis elle se présente au vieillard, suivie d’un esclave portant l’un de ces vases. « Un étranger, dit-elle, voudrait vous confier toutes ses richesses, enfermées en dix amphores, dont voici la première. » Au même instant, entre, comme par hasard, le soldat, qui réclame encore son argent. L’usurier n’ose, cette fois, l’éconduire, dans la crainte de manquer l’autre affaire. Il lui rend ses talens. « Bien le bonjour, lui dit la vieille : cet homme et moi, nous allons chercher le reste des richesses. Attendez notre retour. » L’usurier attend encore.

Mille récits analogues ont dû courir à travers le moyen âge. En Italie, pays des changeurs, des Lombards, des prêteurs aux longues griffes et des esprits subtils, celui-ci parut assurément savoureux et fit fortune. Mais Boccace enlèvera ces masques inertes : des personnes bien vivantes, dont nous croirons reconnaître le visage et les mœurs, remplaceront les figures abstraites de tout à l’heure. Et l’action se passera quelque part, parmi des décors bien appropriés. Un jeune Florentin, Nicolo Salabaetto, « blond et très aimable, » a remis aux douaniers de Palerme des draps de laine, valant cinq cents florins d’or, qu’il rapporte de la foire de Salerne. Une barbière, c’est-à-dire une de ces dames aux paroles de miel, qui s’entendent à merveille à raser leurs cliens et à prendre aux trop jeunes marchands « leur navire, leur chair et leurs os, » Madonna Jancofiore, jette son dévolu sur Nicolo. Elle lui dépêche une vieille professionnelle, qui porte au Florentin, « avec des larmes dans les yeux, » un message, un anneau d’or et l’invitation à visiter Jancofiore dans une maison de bains. Nicolo ne se tient plus de joie et s’empresse d’accourir au rendez-vous. C’était un bain de vapeur, et aucune des cérémonies accoutumées, mousse de savon, parfums de roses, aromates suaves, confitures, vins siciliens, ne fut oubliée. Salabaetto « se croyait en paradis. » Le soir, rencontre nouvelle à la maison de la dame, souper en tête à tête, dans un appartement luxueux. Au matin, le jeune Florentin reçoit en cadeau, sans embarras,