Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romans n’étaient pas oubliés. En février 1832, Renduel traitait avec Hugo pour réimprimer ses romans, publiés originairement par divers éditeurs : Bug-Jaryal, Han d’Islande, le Dernier Jour d’un condamné et Notre-Dame de Paris avec deux chapitres nouveaux[1]. Les conditions étaient les mêmes pour tous ces ouvrages : quinze mois de délai, un franc par exemplaire, tirage de 1 000 exemplaires, sauf pour Bug-Jargal réduit à 750. Si ces conventions n’étaient pas trop dures, c’est que Renduel, à ce qu’il m’a dit lui-même, avait regimbé contre les propositions d’Hugo qui ne demandait pas moins de 6 000 à 8 000 francs en raison du grand succès de Notre-Dame, publiée auparavant chez Gosselin. Au mois de mai de la même année 1832, l’éditeur s’engageait. par traité écrit en entier de la main d’Hugo, à publier Littérature et Philosophie mêlées à 2 000 exemplaires et avec dix-huit mois de délai, en payant 6 000 francs s’il y avait deux volumes et 3 000 s’il n’y en avait qu’un : il y en eut deux.

Enfin en juillet 1836, Renduel, qui avait déjà tant à payer à Hugo pour ses poésies, œuvres critiques ou romans, concluait avec lui un nouveau traité en vue de rééditer Notre-Dame de Paris, toujours en trois volumes et à 11 000 exemplaires, puis la collection de ses sept drames depuis Cromwell et Hernani[2] jusqu’à Angelo, en six volumes (Marie Tudor et Angelo n’en formant qu’un) et à 3 300 exemplaires. Pour écouler cette énorme quantité de livres, il avait trois ans et demi pour le roman et seulement dix-huit mois pour les drames ; enfin il payait à l’auteur la bagatelle de 60 000 francs, dont 10.000 comptant et le reste échelonné jusqu’à la fin de décembre 1838. Arrivé à ce point, Renduel s’aperçut qu’en suivant plus longtemps cette progression incessante, il irait droit à la ruine : il jugea donc prudent de s’arrêter, et quand parurent Ruy Blas et les Rayons et les Ombres, il passa la main à Delloye[3].

  1. C’est alors que Renduel fit sa magnifique édition de Notre-Dame avec douze belles gravures de Boulanger, de Raffet, de Camille Rogier, de Tony et d’Alfred Johannot. Cette édition était en trois volumes in-8o, mais l’éditeur s’était expressément réservé le droit de publier deux mille exemplaires (sur les onze mille) en un seul volume, genre keepsake anglais, pour le jour de l’an. Renduel avait fait tirer pour lui, sur grand papier de Chine, chacune de ces deux éditions ; elles sont aujourd’hui en ma possession ainsi que la collection complète des douze gravures avant la lettre et sur papier fort à très grandes marges.
  2. La première édition de Hernani avait paru chez Mame en 1829. Étourdi par le bruit qu’on faisait autour de ce drame, le libraire, à ce que m’a dit Renduel, avait fait la folie de le payer 6 000 francs. Ce fut autant de perdu, la vente ayant couvert tout juste les frais de publication.
  3. À ce moment-là, d’ailleurs, toutes les œuvres antérieures de Victor Hugo, portant l’indication des deux librairies Renduel et Delloye, subirent un rabais considérable, de moitié ou même des deux tiers, selon qu’elles étaient de vente plus ou moins facile. On en trouve le détail dans les journaux du temps : Notre-Dame, en trois volumes, se vendait 12 francs au lieu de 22 fr. 50 ; chaque volume de poésies, 4 francs au lieu de 7 fr. 50 et 8 francs ; chaque drame, 2 fr. 50 au lieu de 7 fr. 50 et 8 francs, etc. On voit que cette diminution confirme ce que Renduel m’a dit sur le débit très lent des drames et ouvrages en prose comparé à celui des poésies et de Notre-Dame de Paris.