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après l’interdiction, pressentait ce coup rigoureux dès le 30 août 1832, jour où fut signé le traité avec Renduel, c’est-à-dire à une époque où les pourparlers avec la Comédie-Française étaient à peine entamés : en effet, c’est seulement dans sa lettre du 7 septembre au baron Taylor que Victor Hugo prend jour pour aller lire sa pièce à la Comédie, et qu’il ébauche une distribution des rôles.

L’ouvrage fut interdit comme Hugo le prévoyait, comme il l’espérait peut-être. Et cependant Renduel, loin d’user du droit qu’il avait de répéter l’argent ou les billets déjà remis au poète, le paya intégralement. Le 5 septembre, soit six jours après le traité signé, Hugo lui donnait quittance « de la somme de trois mille francs, en mille francs comptant et deux billets de mille francs chacun, payables l’un en février, l’autre fin août prochain », ce qui était strictement conforme au traité. Puis le 5 décembre, — soit le lendemain de la mise en vente et malgré l’interdiction, — Renduel lui payait les mille francs encore dus et recevait en échange un reçu définitif des quatre mille francs stipulés pour prix du Roi s’amuse… Est-il beaucoup d’éditeurs qui en eussent fait autant[1] ?

Suivent trois lettres se rapportant au procès du Roi s’amuse. Une seule est datée, mais il n’est pas malaisé de placer les deux autres à leur rang exact. Elles furent, toutes les trois, écrites entre l’interdiction du drame au Théâtre-Français (23 novembre 1832) et l’audience du Tribunal de Commerce (19 décembre) où l’auteur, ayant Odilon Barrot comme conseil, présenta lui-même la défense de sa pièce et de ses intérêts. Le poète était déjà passé maître en l’art si délicat de la réclame ; il en maniait les ressorts avec un art infini, mettant son éditeur en avant pour se couvrir lui-même et lui recommandant bien de faire recopier les notes qu’il adressait aux journaux, de peur que son écriture ne fût reconnue.


Première lettre :

J’ai vu hier au soir Carrel, tout est convenu. Il a été excellent. Je vous conterai la chose en détail. Sainte-Beuve peut faire l’article comme il le

  1. Ces chiffres, tirés de papiers indiscutables, font bonne justice de la fable inventée par Hugo, sans mauvaise intention, je m’imagine, et transcrite par son secrétaire, M. Richard Lesclide, dans les Propos de Table de Victor Hugo. D’après lui, Renduel devait tirer le Roi s’amuse à deux mille exemplaires (ce qui est exact) et payer 1 franc l’exemplaire (ce qui est faux) ; seulement Renduel aurait déclaré un tirage de vingt mille au ministère de l’intérieur, et Victor Hugo, instruit par hasard du fait, se serait fait délivrer par Renduel confus un bon de 20 000 francs, représentant juste 1 fr. par exemplaire. Ce n’est pas 20 000 francs qu’il toucha, mais 4 000 francs, soit exactement le prix convenu pour les deux mille exemplaires, et cela par pure générosité de son éditeur.