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cessait de lui adresser à plus juste titre. Mis en demeure de procéder à un désarmement simultané et réciproque, il subordonna l’assentiment de la Prusse à la condition que l’Autriche réduirait ses effectifs aussi bien en Italie qu’en Bohême.

Les choses traînaient ainsi sans aboutir pendant que des deux côtés on se hâtait de se mettre en mesure de combattre. Convaincu, par les représentations du général de Moltke dont la prévoyance avait pourvu d’avance à toutes les nécessités, que le temps courait désormais au préjudice de la Prusse qui n’avait plus un homme à appeler sous les armes, M. de Bismarck eut recours à l’expédient qu’il tenait en réserve pour le moment suprême ; il somma la Diète de Francfort de réformer les institutions fédérales et lui soumit un projet de constitution nouvelle instituant une assemblée élue par le suffrage universel dans tous les États confédérés. Si féodal qu’il fût par naissance et par principe, il avait compris qu’il devait s’appuyer, dans la lutte qu’il était à la veille d’engager, sur le sentiment national en Allemagne ; cet homme, si peu disposé à flatter la démocratie, n’hésita pas à rendre un hommage rétrospectif au parlement que la révolution, en 1848, avait convoqué à Francfort ; il mettait ainsi sa main de fer sur un levier tout-puissant qui lui garantirait les sympathies et le concours de l’opinion libérale, fort nombreuse et fort active dans tous les pays germaniques. Audacieuse et inattendue, sa démarche eut un retentissement considérable des Alpes à la Baltique et lui valut, pour entrée en campagne, les applaudissemens enthousiastes de tous les adversaires qu’il avait, jusque-là, si violemment combattus dans les Chambres et dans la presse.

Il lança sa proposition au sein de la Diète comme un projectile destiné, en éclatant, à y jeter le plus complet désarroi et à y susciter des propositions provocantes qui autoriseraient la prise d’armes en Prusse. L’Assemblée fédérale, justifiant ses prévisions, seconda ses espérances, et il réussit, en ce moment difficile, comme dans bien d’autres circonstances, à attirer ses adversaires dans le piège qu’il leur tendait, en se dérobant lui-même à toute faute, même vénielle. La Diète en effet ne fit pas, aux ouvertures du cabinet de Berlin, l’honneur d’un examen contradictoire ; elle décida de prendre les mesures de rigueur que la constitution autorisait contre un confédéré qui se mettait lui-même en pleine révolte contre elle. Dès ce moment la guerre était inévitable ; elle éclata sans déclaration préalable, M. de Bismarck jugeant superflu de s’arrêter, en pareille occurrence, aux traditionnelles formalités de la diplomatie. Le roi, au surplus, tenait à décliner la qualité d’agresseur. Ses armées, mieux concentrées et plus nombreuses, n’envahissaient pas moins, sans autre avis, la Bohême et la Saxe