Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garantir aux parties contractantes l’intégrité de leurs possessions, plaçaient les forces armées de ces États dans la main et sous la direction de la Prusse. Leur autonomie et leur indépendance, réservées et stipulées à Nicolsbourg, n’étaient plus désormais que de vains mots. M. de Bismarck ne tint pas plus compte de la clause relative au Schleswig ; il annexa le duché tout entier au royaume de Prusse sans en consulter les populations, et plus tard, quand un de leurs représentans au nouveau parlement releva cette omission injustifiable, il se borna à faire remarquer que les puissances signataires de la paix avaient, seules, qualité pour s’enquérir de l’exécution des engagemens qui y étaient consignés.

Déjà, sans nul autre accord avec les grandes puissances, il avait, épuisant tous les avantages de la victoire, réuni le Hanovre, la Hesse électorale, le duché de Nassau et la ville libre de Francfort à la Prusse, jusque-là composée de fractions séparées par ces mêmes États qui, pour la plupart, en étaient les enclaves, et acquérant de la sorte, avec des agrandissemens considérables, une continuité non interrompue de frontières et une configuration plus uniforme et plus solide. Dédaigneux des arrangemens qui avaient fondé, en 1815, la Confédération germanique, auxquels l’Europe entière avait été partie contractante, qualité qui lui donnait le droit formel d’exprimer son avis sur les combinaisons nouvelles qu’on y substituait, il constitua, de la seule autorité du gouvernement dont il était l’organe, la Confédération du Nord comprenant tous les États situés entre le Mein et la Baltique, et il en élabora le pacte fédéral sans aucun concert préalable avec les signataires des traités de Vienne. Il mit enfin la main sur les États du midi de l’Allemagne en leur imposant, comme nous venons de le dire, des conventions qui les laissaient à l’entière disposition de la couronne de Prusse. Il put achever cette œuvre immense, qui troublait profondément l’équilibre européen, sans contrôle, sans participation des grands cabinets, dictant ses lois et façonnant l’Allemagne à son gré.

Comme si la destinée l’avait voué à un labeur incessant et toujours plus vaste, M. de Bismarck n’a jamais rempli un programme sans en concevoir un nouveau, plus étendu et plus audacieux. Il avait (à peine élevé le nouvel établissement fédéral et occupé la place immense qu’il s’y était faite en sa qualité de chancelier de la Confédération du Nord, que déjà il jugeait son œuvre inachevée, et il se persuada que son patriotisme lui commandait de la couronner en supprimant la barrière du Mein, en réunissant, dans un ensemble bien ordonné, tous les États allemands sans en excepter aucun, en relevant, en un mot, l’empire germanique au profit de la maison des Hohenzollern. Il est juste