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subsiste alors même qu’on ne parvient pas à le retrouver chez tels individus ou tels groupes. Le caractère national, en ellet, n’est pas la simple somme des caractères individuels. Au sein d’une société aussi fortement organisée que l’est une nation, il se produit nécessairement entre les individus des actions mutuelles qui aboutissent à une manière générale de sentir, de penser et de vouloir, très différente de ce que peuvent être les esprits particuliers. Le caractère national n’est même pas simplement le type moyen qu’on obtiendrait si l’on pouvait imiter, pour les esprits, le procédé de Galton pour les photographies et obtenir une image collective ou « générique » : ce ne serait là qu’une sorte de résultante passive et mécanique. Les visages que la photographie reproduit et combine n’ont pas d’action et ne sont pas des causes : tandis que le caractère national a une action différente des actions individuelles, capable d’exercer une sorte de pression et de contrainte sur les individus eux-mêmes ; il n’est pas seulement effet, il est cause à son tour ; il n’est pas seulement façonné par les individus, il les façonne. En outre, le type collectif et moyen des Français d’aujourd’hui, par exemple, n’est pas la représentation adéquate du vrai caractère français, parce que chaque peuple a une histoire, des traditions séculaires, et qu’il se compose, selon le mot connu, de morts bien plus que de vivans. Le caractère français résume des actions sociales prolongées à travers les siècles, indépendantes de la génération présente, s’imposant à elle par toutes les idées nationales, par les sentimens nationaux, par les institutions nationales. C’est le poids de l’histoire entière que l’individu subit dans ses rapports avec ses concitoyens. Il en résulte que le caractère national n’est pas toujours le mieux exprimé par la foule, par ce qu’on nomme le vulgaire, ni même par la majorité présente. Il y a une élite naturelle qui, mieux que tout le reste, représente l’âme d’un peuple entier, sa pensée la plus profonde et sa volonté la plus essentielle. C’est ce qu’oublient trop nos politiciens. Essayons doncde dégager la vraie physionomie nationale, avec ses qualités et ses imperfections ; et recherchons si, de nos jours, elle s’est altérée.

Au point de vue de la sensibilité, nous sommes toujours la nation excitable dont parlait Strabon, et les Allemands nous reprochent notre Erregbarkeit. Question de tempérament. L’explication physiologique de ce fait semble un excès héréditaire de tension dans les nerfs et dans les centres sensitifs. Ajoutons que, chez le sanguin-nerveux, la sensibilité a un appétit inné de toutes les excitations agréables, une naturelle horreur de toutes les impressions pénibles et déprimantes ; on peut donc s’attendre à ce que, chez le Français, les sentimens qui stimulent et exaltent la