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Dans la musique aussi, c’est chose aujourd’hui démontrée, les Français furent parmi les vrais initiateurs. Certes, ils n’ont pas le génie intimement lyrique et personnel des Germains ; tout ce que la musique peut exprimer avec ses seules ressources, l’Allemagne l’a supérieurement rendu, elle a créé la symphonie. C’est que la musique pure est le moins intellectuel des arts. Tandis que, sous sa forme inférieure, elle se borne à flatter les sens, sous sa forme supérieure elle n’exprime rien moins que les profondeurs les plus reculées de la volonté et du sentiment, mais ce n’est guère sa propre essence de rendre les pensées. Si elle symbolise le monde, c’est « comme volonté », non « comme représentation ». Schopenhauer et Wagner l’ont compris. Malgré cela, la musique a aussi son côté intellectuel, par cela même expressif, surtout dans l’opéra, où elle se trouve unie avec des paroles, conséquemment avec des idées et des sentimens déterminés. C’est pourquoi on pouvait s’attendre à ce que, de ce côté, la France manifesterait encore son génie propre. A elle en effet, ou à son influence, sont dues la vraie tragédie lyrique et la vraie comédie lyrique. Comme notre poésie, notre musique n’est ni métaphysique, ni sensuelle ; elle est surtout humaine. Le caractère par où elle s’oppose à la grande polyphonie allemande, c’est qu’elle n’est jamais de la musique pure, existant pour soi et par soi : elle est essentiellement dramatique.

Dans la période contemporaine, bien loin d’entrer en décadence, nous avons suivi la voie ouverte par Gluck, Mozart et Beethoven ; bien plus, avec Berlioz, Félicien David, Gounod, nous avons ouvert des voies nouvelles. Berlioz n’a pas été sans influence sur Wagner lui-même. En somme, nous avons intellectualisé et le sensualisme de la mélodie italienne et le mysticisme de l’harmonie allemande. Là encore, le génie français reste attaché à la clarté de la forme, à l’expression dramatique du fond : il a toujours voulu une musique parlante et agissante, expansion de l’âme au dehors et vers autrui.


VI

Le jugement des nations voisines et surtout rivales est un contrôle nécessaire de celui que nous pouvons porter sur nous-mêmes. De plus, il a l’avantage de nous renseigner sur les changemens en mieux ou en pire qui se sont produits dans notre caractère. Il faut faire, bien entendu, la part (souvent très grande) des passions, jalousies, rancunes internationales. « Les Français, dit Machiavel dans sa vie de Castracani (ouvrage mis aujourd’hui entre les mains de la jeunesse italienne), les Français