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sont naturellement plus intrépides que robustes et adroits : si l’on peut résister à l’impétuosité de leur premier choc, ils faiblissent bientôt et perdent courage au point de devenir aussi lâches que des femmes » ; ce qui est beaucoup dire ! « D’un autre côté, ils supportent difficilement la disette et les fatigues, finissent bientôt par se décourager ; rien n’est plus aisé alors que de les surprendre et de les battre. » Et Machiavel donne en exemple l’affaire du Garigliano. « Il faut donc, pour vaincre les Français, se garantir de leur première impétuosité, et on est sûr de l’emporter si l’on peut parvenir vis-à-vis d’eux à traîner en longueur. » Machiavel reproche au soldat français d’alors d’être pillard et de dépenser « l’argent d’autrui avec la même prodigalité que le sien. » — « Il volera pour manger, pour gaspiller, pour se divertir même avec celui qu’il a volé. » Ce dernier trait, finement observé, ne montre-t-il pas le besoin de sympathie et de société qui caractérise le Français ? Faute de mieux, ce dernier fraternise avec celui qu’il pourfendait tout à l’heure. « C’est le contraire de l’Espagnol qui enfouit pour toujours ce qu’il vous a dérobé. » Un autre trait représente le caractère sanguin-nerveux des Français : « Ils sont tellement occupés du bien ou du mal présent qu’ils oublient également les outrages et les bienfaits qu’ils ont reçus, et que le bien ou le mal à venir n’est rien pour eux. » Que nous soyons tellement prompts à oublier les bienfaits, on peut le contester (et d’ailleurs les bienfaits par nous reçus des autres nations sont aisés à compter) ; mais comment nier notre promptitude à oublier les outrages, quand une question de droit ou d’humanité ne les rend pas toujours présens à notre intelligence ? Nous ne sommes point de ceux qui remontent jusqu’à Conradin, ni jusqu’à Brennus, pour faire la théorie de leurs haines. Si les Allemands nous avaient battus sans mutiler notre patrie au mépris du droit des peuples, la guerre franco-allemande serait déjà oubliée, comme sont oubliées aujourd’hui la guerre de Crimée contre la Russie, les guerres contre les Anglais mêmes. On reconnaîtra d’ailleurs une nuance de la physionomie à la fois gauloise et française dans cette remarque de Machiavel : « Ils racontent leurs défaites comme si c’étaient des victoires ! » Voilà bien l’imagination française qui s’exalte, qui a besoin de se répandre et d’attirer l’attention. Machiavel ajoute, pour caractériser notre optimisme d’humeur : « Ils ont une idée exagérée de leur propre bonheur et font peu de cas de celui des autres peuples. » Enfin il nous reproche d’être légers et changeans. « Ils gardent leur parole comme la garde un vainqueur. Les premiers engagemens qu’on prend avec eux sont toujours les plus sûrs. » L’accusation, outre qu’elle est peu méritée, surprend de la part d’un Italien, et de Machiavel.