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qui naguère devait rappeler Homère aux Corfiotes, composa une chanson pour les halles. Dans la soirée du 17 brumaire-8 novembre, le bruit se répandit que les faubourgs s’agitaient. Sieyès qui n’aimait point la guerre des rues, bien qu’en vue de la journée, et à tout événement, d’offensive ou de retraite, il apprît à monter à cheval, aurait voulu que, par mesure préventive, on arrêtât, dans la nuit, une vingtaine de députés. Cette épuration préalable, conforme d’ailleurs aux précédens, assurerait la majorité dans le Conseil des Cinq cents. Bonaparte s’y refusa. — « Je ne veux pas qu’on m’accuse d’avoir eu peur d’Augereau ou de Jourdan. N’avons-nous pas pour nous le peuple, les Anciens, une partie des Cinq cents et la majorité du Directoire ?… Je réponds de tout. » Lucien, illusionné par son élection à la présidence, donna le même avis. Les deux frères s’abusaient, et Sieyès, qui avait traversé les grandes crises, qui se rappelait le 31 mai, se connaissait mieux aux « journées ». Si avisé qu’il fût, il avait pourtant négligé une partie essentielle de son plan : la mise en scène du complot. Il ne pensa point que les députés réclameraient des détails, des commérages sinon des preuves, des délateurs sinon des témoins, des conspirateurs surtout. Robespierre en avait toujours, Fouché n’en manqua jamais. Ce ministre de la police était prêt, d’accord avec son compère Real, à en fournir ce jour-là ; mais ni Sieyès, ni Bonaparte ne daignèrent l’employer. Bonaparte affectait de dédaigner les moyens de police, il comptait trop sur son prestige. Il se figura que tout se passerait en parades de théâtre, qu’il lui suffirait de paraître avec son état-major, ses cavaliers, ses trompettes, ses musiques. Il méprisait trop « les avocats » et ne connaissait point les assemblées. Il ne prévoyait pas que toute cette subtile mécanique de motions et de décrets se détraquerait au premier incident de séance ; il eut à le regretter.

Fouché, décidé à se rendre utile, s’en alla rassurer les Directeurs. Dubois-Crancé, leur avait dénoncé les embauchages d’officiers ; mais Moulin était incapable de rien saisir ; Roger Ducos, s’était couché et ne voulait écouter personne ; Barras cherchait à placer sa dernière carte et négociait une entrevue avec Bonaparte ; le bon Gohier, circonvenu par Joséphine, avait accepté à déjeuner le 18 au matin, rue Chantereine : il fut le seul peut-être à prêter une attention bénévole au ministre de la police. Les régimens de Paris furent avertis que le 18, au matin, Bonaparte les passerait en revue dans le jardin des Tuileries, c’est-à-dire à la