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accompli. Je voudrais essayer de le rappeler, de retenir un moment un idéal qui nous fuit, peut-être pour toujours, et dont ce lieu choisi fut non seulement le témoin, mais l’auxiliaire et le sénateur.

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Il y aura soixante-dix ans le 9 du présent mois de mars, que la Société donna son premier concert et que, dans la salle du Conservatoire, les premiers accords de la symphonie Héroïque éclatèrent pour la première fois. C’était bien à celle-là d’ouvrir, un jour de printemps, le cortège fraternel et triomphal. « Ô ma belle guerrière ! » On put la saluer du salut de Shakspeare, jeune, elle aussi, victorieuse, et debout sur le seuil des temps nouveaux.

L’avènement de la Société des Concerts fut célébré par les contemporains moins comme une nouveauté que comme une restauration. « Après un trop long interrègne, écrit le chroniqueur du Journal des Débats, Euterpe a ressaisi le sceptre de l’harmonie ; sa maison de plaisance est toujours dans la rue Bergère. » Avec autant de plaisir, sinon de poésie, la Revue musicale assure que « le 9 mars 1828 sera inscrit comme un beau jour dans les fastes de la musique française, et comme l’époque de sa régénération. Non seulement l’exécution y a repris ce cachet de supériorité qui avait donné au Conservatoire une réputation européenne, mais une influence morale de l’ordre le plus élevé s’y est développée et ne peut manquer d’avoir les plus heureux résultats. »

Quels étaient donc ces concerts, dont la nouvelle société venait de reprendre et de relever, si vite et si haut, la tradition déjà ancienne ? C’étaient ceux qu’on nommait les Exercices d’élèves du Conservatoire. L’usage s’en était établi dès les premières années de l’École royale de chant, fondée en 1784 et devenue par décret de l’an III le Conservatoire de musique. Le premier de ces exercices, dont la fortune devait être éclatante et durable, eut lieu le 18 avril 1786 dans la petite salle, longtemps unique, de l’École installée dans l’hôtel des Menus-Plaisirs du Roi. Les élèves y exécutèrent avec succès le Roland de Piccini. Cette salle, qui donne sur la rue du Faubourg-Poissonnière, existe encore aujourd’hui. Elle reçut naguère d’illustres visiteurs. Le général Bonaparte s’y est assis ; Lucien, frère de l’Empereur, y présida une distribution des prix et l’Impératrice Joséphine ne dédaigna pas d’y paraître. En 1800, trois séances annuelles y furent organisées, pour l’audition des œuvres des grands maîtres. L’exercice du 13 avril 1801 est resté fameux : un morceau de piano fut exécuté par l’élève Zimmermann et un solo de basson par le citoyen Judas, lequel, ayant