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surprise et de ravissement : « Il est impossible qu’en aucun lieu de l’Europe on exécute la musique mieux que cela. »

Un maître éminent rappelait devant nous et pour nous, il y a peu de jours, l’éclat et la gloire de cette première heure, dont il fut lui-même un des plus jeunes, un des meilleurs ouvriers[1]. Il nous disait le travail opiniâtre, la fatigue des répétitions, mais leurs délices aussi, l’ardeur sacrée de la lutte avec le génie rebelle, l’orgueil enfin de la victoire, et les cris, presque les pleurs de joie, lorsque, sous le bâton vraiment prophétique du chef, la vie et la beauté jaillissaient des chefs-d’œuvre nouveaux. Tantôt c’était la symphonie en ut mineur, interrompue régulièrement à l’entrée du finale, par les acclamations et les trépignemens. Fétis a même rapporté qu’un jour l’exaltation du public fut telle, que, pour l’apaiser, il fallut promettre que le scherzo et le finale de la symphonie seraient répétés à la fin du concert. Tantôt c’était la symphonie en la, dont le rythme, conquis à grand’peine, s’emparait si bien de ses vainqueurs, qu’un soir de ballet à l’Opéra, dans un point d’orgue laissé par le compositeur à la fantaisie du soliste, le rythme obsédant revenait de lui-même voltiger sur la flûte de Tulou.

Beethoven, toujours Beethoven. On le voulait désormais tout seul, et tout entier. Le programme du second concert ne portait que son nom. Haydn, Mozart lui-même, pâlirent alors un instant. « En parcourant, écrivait Fétis après la répétition d’une symphonie de Mozart, les corridors de l’Ecole royale, j’ai entendu quelques blasphèmes sortir de la bouche des jeunes exécutans, et des comparaisons peu raisonnables. » En cinq ou six ans, les neuf symphonies furent données, sans parler des autres œuvres. Inégalement accueillies et comprises, elles furent toutes, sauf la neuvième d’abord, à peu près également entendues. Voilà comment et par qui non seulement s’annonça, mais s’établit dans notre pays le règne de Beethoven, quelques mois à peine après que Beethoven était mort.

Et c’est la Société des Concerts, par laquelle ce règne arriva, si prompt, si glorieux, qu’on devait qualifier un jour d’assemblée réactionnaire, arriérée, de conseil des anciens, des fossiles ou des perruques. À quel moment de son histoire fut-elle donc rien de tout cela ? Serait-ce après quinze ans, lorsque, sans retard et sans retour, elle fit place, au-dessous de Beethoven, au jeune et charmant génie

  1. M. Eugène Sauzay, ancien professeur de violon au Conservatoire, ancien membre de la Société des Concerts. Il exécuta un concerto de Rode au premier concert, le 9 mars 1828.