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faut nous enrichir ! peu importe comment, mais il faut nous enrichir ! La production de la richesse, il n’y a pas de plus noble emploi de l’activité humaine ! « Les hommes de guerre ont été jadis l’objet de l’admiration des peuples, et dans la lointaine antiquité, ils étaient rangés parmi les dieux. » Mais les temps sont changés, « depuis que la guerre a été remplacée par une forme moins onéreuse de la concurrence, comme véhicule du progrès » ; ce sont maintenant nos banquiers qui sont nos grands hommes ; et nous sommes entrés dans le règne de l’argent.

Ce ne sont là que des phrases, — mais des phrases dangereuses, — et on finira bien quelque jour par s’en apercevoir. Où donc lisais-je récemment un article, dont le titre seul : La prise de possession du gouvernement par le commercialisme, suffit pour indiquer l’esprit et la portée ? Ce n’était pas dans un journal allemand ou français, mais dans une Revue américaine. Et, en effet, c’est aujourd’hui la tendance de presque tous les gouvernemens que de mettre au premier rang de leurs préoccupations le développement du commerce et de l’industrie. On raisonnait jadis autrement, — et on raisonnait mieux, je veux dire d’une manière plus conforme à la réalité, — quand on était convaincu que la guerre et la diplomatie sont les pièces maîtresses de l’équilibre social ! Même c’est là ce qui explique, dans notre histoire nationale, et, si l’on était juste, c’est ce qui excuse, en les expliquant, les « abus » de l’ancien régime. On n’était pas du tout indifférent alors aux « misères du peuple », et ce que l’on pouvait faire pour les soulager, on le faisait. On n’était pas non plus indifférent au développement du commerce et de l’industrie : le nom de Colbert suffirait pour en témoigner. Mais on croyait que tout est dans la dépendance de la guerre ou de la politique, et c’était d’elles en conséquence que l’on s’occupait principalement. C’est ce que voulait dire ce financier du temps de la Restauration, quand il disait : « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances » ; et il entendait que la puissance financière, commerciale, industrielle ne se décrète pas, et se crée encore moins, mais dépend de la puissance militaire ou politique, en est une conséquence, et, comme on dit, « une fonction ». L’histoire est là qui le démontre, notre histoire nationale, au cours de laquelle on a toujours vu, — de 1660 à 1680, par exemple, c’est-à-dire des Pyrénées à Nimègue, de 1800 à 1810, c’est-à-dire d’Amiens à Tilsitt, ou enfin de 1855 à 1870, c’est-à-