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sûrs d’eux-mêmes où nous hésiterions, nous croyons qu’ils ont des raisons d’affirmer. Mais ils n’en ont pas d’autres ni de meilleures que les nôtres ; et quand, pour achever de nous éblouir, ils invoquent la méthode et l’esprit « scientifiques », c’est justement ici qu’augmente le danger.

Osons en effet et une bonne fois le dire : que la linguistique, la philologie, la paléographie, la métrique, l’exégèse, l’anthropologie, l’ethnographie, — je pourrais aujourd’hui prolonger l’énumération à l’infini, — ne sont pas des « sciences » ; ni même de la « science » ; et les plus éminens de ceux qui s’y exercent n’ont aucun droit à se réclamer de l’esprit ni des méthodes « scientifiques ». Un paléographe ou un philologue sont des érudits, et, s’ils le veulent, des intellectuels, mais ils ne sont pas des « savans » ; et ils ne le seront jamais, ni à aucun degré. Savoir a dit un vrai savant, c’est Pouvoir ou Prévoir. Qu’est-ce que peut un paléographe, et de quelle prévision un exégète est-il capable? L’astronome prévoit des « passages » et le chimiste peut des combinaisons ; l’exégète et le paléographe ne connaissent et n’étudient que ce qui ne s’est pas vu, ce qui ne se verra pas deux fois. Pour l’esprit scientifique, je ne sais ce que c’est, ni comment un critique ou un historien se permettraient de se l’attribuer, quand on voit des savans se reprocher entre eux de ne pas l’avoir, et se le prouver même, en se convainquant d’erreur. Pense-t-on que Pouchet, qui fut le contradicteur acharné de Pasteur, ne crût pas avoir « l’esprit scientifique » ? Si maintenant la méthode scientifique est rationnelle, comme celle du géomètre, ou expérimentale, comme celle du physiologiste, qu’y a-t-il de rationnel, je veux dire de réductible au principe d’identité, dans l’évolution de la métrique ? ou d’expérimental, j’entends d’assignable au principe de causalité, dans les constatations de la paléographie ? Et après tout cela, quand la physique ou la chimie seraient en possession d’une méthode certaine, qui donc a décidé que cette méthode serait applicable aux plus délicates questions qui intéressent la morale humaine, la vie des nations, et les intérêts de la société ? Les chimistes et les physiciens ! Mais quels chimistes ? quels physiciens ? Et je consens d’ailleurs que ce soient les plus éminens d’entre eux, mais ils me seront encore suspects, et ils devront encore m’être suspects, parce qu’enfin la question n’est pas de leur compétence, et qu’en exprimant leur confiance dans l’application de la méthode scientifique, j’entends bien qu’ils sont