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LE PEUPLE GREC.

chevelure « brune » ; enfin, il se retrouve dans les antiques expéditions contre la Basse-Égypte, révélées par les monumens égyptiens, où l’on voit figurer les Grecs du type blond. Les récits homériques et les vieilles traditions de la Grèce parlaient des migrations et perpétuels mouvemens de navigation dont les prédécesseurs des Hellènes classiques étaient coutumiers ; on avait pris tous ces récits pour des fables. Les découvertes des égyptologues ont tout confirmé. Deux ou trois siècles après Thoutmès III, les blonds Achéens se mirent en branle et voulurent fonder une patrie nouvelle aux bords du Nil ; ils se firent battre en plein Delta, avant de se fixer à Chypre, ainsi que les Tyrrhènes avant de se tourner vers l’Italie[1].

Trompé par la science encore mal informée de son époque, Taine s’écriait : — « Chose étrange, à l’aube de la civilisation, quand ailleurs l’homme est bouillant, naïf et brutal, un de leurs deux héros est le subtil Ulysse, à qui Pallas même dit : Ô fourbe, menteur, insatiable de ruses, qui te surpasserait en adresse, si ce n’est peut-être un dieu ? » Et il est certain que le héros grec est typique ; mais, à vrai dire, il ne représente pas l’aube d’une civilisation ; c’en est plutôt le déclin. Les Grecs d’Homère ne sont nullement des primitifs, et ils sont en avant sur presque tous les autres peuples de leur époque.

En somme, de tous les documens amassés par la science contemporaine, on peut conclure que la Grèce antique offrait un double caractère : elle était presque tout entière à crâne allongé ; le fonds était dolicho-brun, mais avec une proportion considérable de dolicho-blonds. Encore aujourd’hui, on rencontre en Grèce des femmes aux grands yeux d’un bleu pâle. Les Albanais, chez

  1. Envahie par les Thraces et les Hellènes, la Grèce n’en avait pas encore fini avec les conquérans septentrionaux. Soixante ans après la guerre de Troie, les Doriens descendent à leur tour des montagnes de l’Olympe et finissent par s’emparer du Péloponèse. Ces Dorions n’introduisirent pas en Grèce d’élémens ethniques vraiment nouveaux. Ils étaient une sorte d’équivalent des Germains, probablement de race analogue. Leur invasion fut d’ailleurs présentée comme un « retour » des Héraclides. O. Müller a montré que, si les Doriens étaient plus rudes et plus belliqueux que les autres Hellènes, ils n’étaient point cependant les barbares qu’on a supposé et avaient, au fond, les mêmes qualités que leurs congénères. Ils n’en produisirent pas moins, eux et toutes les autres peuplades entraînées dans la migration, une sorte de « moyen âge hellénique », comme les invasions des peuples germains, de race non moins intelligente, devaient produire plus tard notre moyen âge. Pendant ce temps, le commerce phénicien devint prépondérant, et avec lui les influences orientales dans l’industrie. Grâce à ces influences mêmes, le moyen âge dorien prit fin rapidement, et la civilisation proprement hellénique put se produire.