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LE PEUPLE GREC.

des états-majors, la politique plaçant ses favoris à la tête des armées, on comprend les désastres que la Grèce a subis et on entrevoit ceux qui attendraient, dans n’importe quel pays, les imitateurs de ce régime.

Un des plus beaux traits du caractère grec, c’est l’amour passionné pour la liberté et pour l’indépendance : on sait à quel héroïsme cette passion s’est élevée en notre siècle et, là encore, on reconnaît les dignes fils des Grecs. Descendans ou non des anciens Hellènes par le sang, ils le sont, a-t-on dit, au point de vue moral ; façonnés par le même milieu, héritiers de leurs traditions et de leur langue, ils peuvent, à l’exemple de l’Italie, être appelés un jour à un vrai « resorgimento », si l’on en juge par leur admirable essor depuis les quelques années qu’ils sont affranchis. Leur tort est d’avoir voulu marcher trop vite et, qui plus est, marcher seuls, sans le concours de l’Europe. C’était oublier que la politique internationale, aujourd’hui plus que jamais, est soumise à des conditions de solidarité. C’était oublier aussi que, dans notre vaste monde moderne qui lui doit ses sciences et ses arts, la Grèce est devenue matériellement trop petite. Déjà exiguë jadis, elle l’est encore davantage relativement à notre civilisation actuelle ; fût-elle habitée par la plus pure race hellène, elle aurait grand’peine à ressaisir son ancienne gloire. En outre, elle n’a plus aujourd’hui la situation privilégiée qui la fit profiter à la fois de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique : l’axe de la civilisation s’est déplacé. Enfin les conditions de la guerre moderne ont diminué, au profit du nombre, de l’armement et de la tactique, l’importance des frontières et défenses naturelles. L’Olympe et les Thermopyles ne sont plus infranchissables ; la Grèce n’est plus « le piège à trois fonds » dont parle Michelet ; où les hordes perses vinrent se perdre, les bataillons turcs, armés et commandés à l’allemande, ne peuvent que trop bien passer. Insuffisante est la population que les siècles ont laissée à l’Hellade : deux millions d’habitans environ.

La politique a bien des retours, et les peuples qui veulent vivre ont bien des ressources. Si les circonstances lui redeviennent favorables, si elle sait se recueillir, se fortifier et attendre, la Grèce pourra un jour, comme on le lui a plus d’une fois prédit, retrouver la prépondérance maritime dans la Méditerranée orientale. Ceux qui ont confiance dans ses destinées, — et nous sommes du nombre, — nous montrent les motifs de consolation