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gens hésitaient à se compromettre : le terrible marquis était de taille à soulever toute la province, et on craignait de se déclarer ouvertement contre un si puissant adversaire.

Le chef de la conjuration bretonne n’était pas cependant sans éprouver quelques scrupules sur la validité de ses pouvoirs. Les Princes l’avaient autorisé à agir, rien de plus ; et maintenant que le projet entrait dans la période d’exécution, il redoutait de se voir déposséder du commandement par quelque rival jaloux de recueillir le bénéfice de ses peines et de son activité. En outre, à certains indices, il soupçonnait que nombre de gentilshommes, de plus noble race ou plus âgés que lui, s’astreindraient difficilement à servir sous ses ordres. Malgré ses objurgations, plusieurs avaient émigré et, pour bien montrer qu’ils ne prenaient pas au sérieux les services que pouvait rendre à la cause royale une insurrection purement locale, ils étaient allés s’enrôler dans l’armée des Princes. MM. de Boisfévrier, parent du marquis, et Léziard de Villorée, l’un de ses principaux agens de Fougères, avaient cru devoir imiter cet exemple : il y avait là un danger auquel il fallait parer. La Rouerie dépêcha donc à Coblentz son ami Pontavice, chargé d’exposer aux Princes la difficulté et de solliciter leur intervention.

Cette fois, il eut tout lieu de se déclarer satisfait. Vers le milieu de mars, Pontavice rapporta une commission formelle livrant à la Rouerie le commandement de toute la province, la direction des troupes de ligne et des maréchaussées, lui conférant le pouvoir de donner, au nom des Princes, les ordres que les circonstances lui paraîtraient exiger et ordonnant à tous les sujets fidèles de lui obéir comme au roi lui-même. Bien plus, les frères de Louis XVI recommandaient à tous les gentilshommes bretons de s’unir au marquis de la Rouerie et manifestaient le désir « que le nombre des émigrés ne fût pas augmenté ». Une lettre de Calonne, jointe à cette commission, contenait un blâme personnel contre MM. de Boisfévrier et de Villorée. Fontevieux devait suivre de près Pontavice et venir se mettre à la disposition du chef de la conjuration afin que celui-ci pût entretenir, avec la cour de Coblentz, des relations plus fréquentes.

Fort de cette complète approbation, le marquis se prépara à l’action. Le plan était simple : l’armée des Princes allait entrer en France par Thionville et Verdun. Nul doute que les places fortes ne se hâtassent d’ouvrir leurs portes aux émigrés : en