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provoqué un procès dans lequel plusieurs amis du Comte d’Artois et ce prince lui-même eussent été compromis. »

Ce n’est pas seulement par de tels procédés que se manifestait la haine des ultras. « A côté des conspirations contre l’honneur de mon mari, continue la duchesse, il y en avait contre sa vie. De tous côtés, on le prévenait qu’il serait assassiné. Des lettres anonymes qu’on m’adressait contenaient les mêmes menaces. Les amis de Monsieur eux-mêmes nous faisaient dire de nous bien garder, espérant sans doute effrayer M. Dccazes et le décider à changer de politique. Le général D***, un de nos familiers, nous parlait sans cesse de ces dangers. Habitué du pavillon de Marsan, et véritable mouche du coche, il nous racontait tout ce qu’il y entendait. J’ai souvent pensé qu’il allait y raconter ce qu’il entendait chez nous. Je n’en étais pas moins tourmentée. M. Decazes se rendait tous les soirs chez le Roi ; il y allait en voiture. Mais il revenait souvent à pied, ce qui m’inquiétait beaucoup. Je n’osais rien dire. D’ailleurs, eussé-je dit quelque chose, que cela n’aurait rien empêché. Je n’allais me coucher que lorsqu’il était rentré et que je le voyais occupé à écrire ou s’entretenant avec des personnes qui l’avaient attendu en me regardant faire des patiences. »

On peut mesurer à ces traits l’étendue des difficultés au milieu desquelles se débattaient le ministère en général et Decazes en particulier. Mais, loin d’en être découragé, celui-ci les bravait, fort de l’appui du Roi, de la sincérité de sa conviction, et d’une vision très claire des intérêts du pays. Le malheur était que tous ses collègues ne se faisaient pas la même idée que lui de ce que commandaient ces intérêts. Par défiance des ultra-royalistes, Dessoles, Gouvion-Saint-Cyr et le baron Louis inclinaient de plus en plus vers la gauche, ne souscrivaient qu’avec répugnance aux mesures que désapprouvait ce parti. Decazes n’était pas moins éloigné qu’eux de l’extrême droite et de la politique de Monsieur. Mais il persistait à penser que le gouvernement devait chercher son appui dans les centres et y trouver les élémens d’une majorité fidèle. Il avait fini par convaincre de Serre de la sagesse de ses vues que, d’autre part, le baron Portai partageait.

Le ministère se trouvait donc, après huit mois d’existence, aussi divisé qu’au lendemain de sa formation : trois ministres d’un côté, trois de l’autre. La scission y était même plus profonde et il devenait de toute évidence qu’il ne pourrait vivre longtemps ainsi. Les élections pour le renouvellement annuel du cinquième