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Affaires étrangères. Je n’approuve pas cette idée… M. de Jaucourt avait le portefeuille par intérim lors du traité de Vienne en 1815, ce qui le met dans une fausse situation vis-à-vis de l’empereur de Russie, qui le suppose dans le système d’alliance de M. de Talleyrand. De plus, soit dit entre nous, M. de Jaucourt ne sait pas parler. M. Pasquier, au contraire, sur lequel je vous ai laissé entendre que j’avais des vues, est indispensable pour la tribune ; il l’est à cause de sa fidélité et de sa noble conduite ; enfin, il l’est parce que sa rentrée au ministère fera que la satisfaction que j’ai d’y avoir M. de Serre ne sera plus obscurcie par aucun nuage. À ce soir, cher Comte. »

Le refus du Roi de confier à Jaucourt le portefeuille des Affaires étrangères, qu’il désirait donner à Pasquier, ne pouvait que réjouir Decazes. Mais, il détruisait la combinaison si laborieusement élaborée avec de Serre, en écartant Royer-Collard, qui ne voulait pas entrer avec Pasquier, et en rendant au moins bien douteux l’appui des doctrinaires.

Au cours de ces incidens, le Roi écrit encore à « son fils » :

« Ce qui me vexe et m’inquiète, c’est la lettre de de Serre et la taquinerie de ces doctrinaires contre Pasquier. Je crains que nous n’ayons de tout cela deux âmes sans un seul corps, chose détestable. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent en Angleterre. En 1783, se forma la fameuse coalition de lord North et de M. Fox ; c’était le feu et l’eau ; eh bien ! ils embrassèrent un même système et restèrent unis même après leur sortie du ministère. En 1806, à la mort de Pitt, vint le ministère des talens ; même suite ; lord Granville et lord Grey sont encore unis aujourd’hui comme alors. Lorsque le Roi change son ministère, il ne dit pas à deux personnes, mais à une seule, de lui en former un. Je ne sais qui me tient de t’en dire autant. En attendant, tiens bon pour Pasquier… À ce soir. »

Par cette lettre, le Roi désignait en quelque sorte Decazes pour la présidence du Conseil et, spontanément, de Serre la lui offrit en la refusant pour lui-même. Le 19 novembre, Roy et La Tour-Maubourg, après avoir pris connaissance de la loi électorale, consentirent à faire partie du cabinet qui devait la présenter aux Chambres, la défendre et la faire adopter. Le concours de Pasquier était d’ores et déjà assuré, et, avec Portal, de Serre et Decazes, qui gardait le portefeuille de l’Intérieur en prenant la présidence du Conseil, le nouveau ministère se trouva